Victor Ndonnang : « L’Afrique et le Cameroun sont beaucoup plus consommateurs des équipements et contenus Internet »

Membre actif de la communauté web camerounaise, Victor Ndonnang, explique les raisons du faible taux de participation des nations africaines à l’Internet Engineering Task Force (IETF) et à bien d’autres rencontres internationales des techniciens de l’Internet.

A votre avis, quelles peuvent êtres les causes de ce faible taux de participation des nations Africaines en général et du Cameroun en particulier à ce genre de rencontre technique internationale ?

Avant de répondre à votre question, permettez-moi de présenter brièvement l’Internet Engineering Task Force (IETF) à vos lecteurs.

L’IETF est la plus large communauté internationale de techniciens volontaires qui s’occupe du développement technique de l’Internet. C’est là où les standards et protocoles Internet sont initiés, développés, améliorés, validés et publiés pour implémentation volontaire (l’utilisation des standards et protocoles produits par l’IETF n’est pas obligatoire). Les volontaires de l’IETF sont organisés autour des groupes de travail thématiques et le plus grand de leur travail (+75%) se fait en ligne à travers des listes de diffusion. L’IETF tient également trois réunions physiques par an pour permettre aux membres des groupes de travail de se rencontrer et aussi présenter leurs travaux aux observateurs. C’est aussi l’occasion de susciter la passion et l’envie de participer chez de nouveaux volontaires.

La participation aux groupes de travail, listes de diffusion et réunions physiques de l’IETF est ouverte à tous sans discrimination. Mais pour comprendre de quoi on parle et participer effectivement, il faut être un technicien chevronné, développeur ou passionné du développement technique de l’Internet. L’IETF est « légalement » représenté par l’Internet Society, organisation internationale qui s’occupe de développement ouvert de l’Internet. Les travaux et réunions de l’IETF sont sponsorisés par les grands équipementiers (Cisco, Huawei, Alcatel-Lucent…), fournisseurs de connectivité (Comcast, Seacom…) et de contenus Internet (Google, Microsoft…).

Pour revenir à votre question, je pense que la faible participation des ingénieurs Africains en général et Camerounais en particuliers est due à plusieurs facteurs :

  • La méconnaissance de l’existence de l’IETF : absence des programmes recherche et développement dans le secteur de l’Internet ;
  • La rareté ou presque l’inexistence des constructeurs d’équipements Internet et gros intermédiaires Internet 100% Africains. L’Afrique et le Cameroun sont beaucoup plus consommateurs des équipements et contenus Internet. Nous ne produisons pas d’équipements Internet et produisons très peu de contenus Internet ;
  • La non-tenue d’une réunion physique de l’IETF (1) en terre Africaine depuis sa création en 1986. Ceci se justifie par le facteur précédent. C’est tout à fait naturel que la réunion de l’IETF se tienne là où il y’a plus de sponsors et de contributeurs des groupes de travail en ligne (USA, Europe, Canada, Australie, Japon, Corée du Sud, Chine, Taiwan…) ;
  • La non-appropriation de la notion de « communauté virtuelle » (Virtual Community) par les étudiants, ingénieurs et techniciens réseaux Africains ; Internet permet la création des communautés virtuelles qui rend plus aisée la collaboration, le partage d’idées et d’informations. L’IETF est une communauté semi-virtuelle ;
  • La non-appropriation de la notion de documentation des idées et des procédures à des fins d’utilisation et d’amélioration par les générations futures. Les ingénieurs Africains n’aiment pas trop écrire…Participer à l’IETF c’est aussi présenter, défendre son idée à distance à travers les mailing lists ; donc écrire beaucoup !
  • La barrière linguistique : Qu’on le veuille ou pas, l’anglais est la langue de l’Internet et la langue de travail de l’IETF. Qui veut participer efficacement (se faire comprendre et comprendre les autres) à l’IETF doit faire des efforts pour améliorer son niveau en langue anglaise ;
  • Et enfin le dernier facteur et pas le moins important : le manque des moyens financiers pour soutenir la participation des ingénieurs et enthousiastes de l’Internet Africains. Quelques programmes de bourses IETF (2) existent comme celui offert par L’Internet Society, mais très peu d’Africains avec un profil adéquat postulent.

 

Auriez-vous des voies de solutions à proposer afin de faire changer les choses au niveau local (Afrique, Cameroun) ?

Pour mieux combattre une maladie, il faut combattre ses causes. Je crois que les solutions aux facteurs de causalité que je viens de citer permettront naturellement une augmentation et une amélioration de la participation Africaine à l’IETF. Je pense qu’il faut commencer par la base si l’on veut avoir des résultats durables. Pour cela, je propose les pistes suivantes :

  • Amélioration du niveau d’anglais chez les ingénieurs et enthousiastes de l’Internet Africains ;
  • L’appropriation de la notion de communauté virtuelle par les étudiants et ingénieurs Africains ou Camerounais. Il faut apprendre aux étudiants africains en général et camerounais en particulier comment utiliser efficacement les listes de diffusion (mailing lists) pour travailler et collaborer. Certains pensent que c’est facile mais ça s’apprend ;
  • L’intégration de la participation à l’IETF dans la « job description » des ingénieurs, administrateurs réseaux et étudiants chercheurs africains dans les domaines Informatique et Internet. Pour se faire, il vaut mieux expliquer la plus-value pour l’entreprise ou l’université de financer la participation de ses ingénieurs;
  • L’intégration de la notion de budget « recherche développement » dans le plan de développement des entreprises africaines qui travaillent dans un secteur en constante innovation comme l’Internet. Rappelez-vous, j’ai dit plus haut que les réunions et travaux de l’IETF sont sponsorisés par les grandes entreprises Internet comme CISCO, Google…Pourquoi ? Parce que les résultats des travaux des ingénieurs volontaires de l’IETF leur permettent de produire des équipements et solutions toujours plus innovantes et d’être toujours en avant-garde sur le secteur de l’Internet. Par exemple, le protocole IPv6 qui va permettre de connecter le prochain milliard d’internautes et sans doute toute la planète, émane de l’amélioration du protocole IPv4 (conçu initialement pour connecter seulement 4 milliards d’ordinateurs) par les volontaires de l’IETF. Le protocole SIP qui a révolutionné le secteur de la Voix par Internet (VoIP) et des télécommunications en général est aussi le résultat des travaux de l’IETF.
  • Et enfin je pense qu’il faut trouver de l’argent pour financer les participations des Africains et Camerounais a l’IETF. Comment ? Je pense qu’en addition aux efforts fournis par les organisations de développement de l’Internet (ISOC,…), les gouvernements des pays en développement en général ont un rôle très important. Ils ne doivent pas seulement investir dans la santé, l’agriculture, mais aussi dans les Technologies et de l’Information et de la Communication (TICs) en général et l’Internet en particulier. Souvenez-vous l’Internet qui est un bien public aujourd’hui et catalyseur du développement socio-économique émane d’un programme de recherche (DARPA) financée par le gouvernement américain. Les gouvernements africains doivent financer la recherche et particulièrement la recherche dans le secteur de l’Internet. Cela pourrait résoudre les problèmes d’emploi et accélérer le développement économique.

Le développement effectif de l’Internet en Afrique passe par une participation massive des jeunes ingénieurs africains aux structures clé du développement technique de l’Internet comme l’IETF, le W3C…, afin que l’Afrique ne soit plus seulement un consommateur de l’Internet mais un producteur des équipements et contenus Internet.

 

Propos recueillis par Valdes Nzalli

Source : http://valdesjo.wordpress.com/

 

 (*) A propos de Victor Ndonnang

Depuis 2008, Victor Ndonnang est consultant en TIC, spécialiste des questions de Gouvernance de l’Internet et s’intéresse principalement développement technique de l’Internet et à la gestion des ressources Internet essentielles (Adresses Internet (IP) et noms de domaine). Il en maîtrise l’ensemble des enjeux transversaux : technique, juridique, marketing, communication, référencement et administratif du nommage Internet. Il conseille les petites organisations et entreprises dans la stratégie de nommage et de gestion de la présence sur Internet. Il est lauréat du Programme Internet Society Next Generation Leaders (3) et Fellow de l’ICANN. Il est membre fondateur de la branche Camerounaise de l’Internet Society (Internet Society Cameroon Chapter)qui œuvre pour le développement ouvert de l’Internet au Cameroun (IXP, IPv6, Safer Internet…) et encourage la participation des Camerounais aux structures de développement technique et de gouvernance de l’Internet (ISOC1, IGF2, ICANN3, 1Net4…).

 

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