Elisabeth Medou Badang d’Orange : Tout ce que je retiens du Cameroun [Interview exclusive]

(TIC Mag) – Elisabeth Medou Badang est désormais ex-DG d’Orange Cameroun. Elle a été promue ce mois de février 2018 au sein du groupe télécoms français Orange. La Camerounaise rejoint le Comité de direction d’Orange Middle East and Africa où elle occupe le poste de directeur de zone et porte-parole d’Orange Middle East and Africa.  Elle supervisera donc un certain nombre de pays africains et peut-être également le Cameroun. Ici, elle est remplacée par le Français Frédéric Debord qui a déjà pris les commandes d’Orange Cameroun. Une entreprise qui a fait l’actualité ces derniers mois.

Arrivée aux commandes d’Orange Cameroun en décembre 2013, la directrice générale sortante a accepté de recevoir l’équipe de TIC Mag le 14 février 2018, soit quelques jours avant son départ de l’entreprise. Elisabeth Medou Badang nous confie ce qu’elle retient du Cameroun, ce qu’elle y a réalisé durant les quatre années à la tête de cette structure. Ses projets les plus marquants, ses relations avec la concurrence y compris avec l’opérateur historique Camtel avec lequel y a eu une grande polémique, ses rapports avec l’Etat, les ingrédients de la réussite d’Orange Money, ses conseils pour un meilleur développement de l’économie numérique au Cameroun et bien d’autres sujets dans cet entretien exclusif avec Beaugas Orain Djoyum. Dans son bureau d’alors à Douala, Elisabeth Medou Badang a répondu à nos questions en toute convivialité.

TIC Mag : Vous quittez le Cameroun quelques mois après la lourde sanction que vous a infligée l’ART, le régulateur télécoms, au sujet des irrégularités constatées dans le processus d’identification de vos abonnés. Qu’est-ce qui n’a pas marché dans ce processus et où en êtes-vous aujourd’hui ?

Elisabeth Medou Badang : C’est un sujet que nous abordons avec beaucoup d’humilité.  C’est une problématique qui n’est pas spécifique au Cameroun. Dans plusieurs pays, les opérateurs arrivent à manager cette problématique plus ou moins bien. Pour ce qui nous concerne, je redis que nous prenons très au sérieux ce sujet qui relève de la sécurité de notre pays. A ce titre, plusieurs parties prenantes sont impliquées. Les opérateurs en font partie et doivent jouer leur partition. Nous avons tout mis en œuvre pour satisfaire au mieux les attentes des pouvoirs publics en la matière.  Nous avons revu notre système d’information pour l’adapter. Nous avons équipé tous nos points de vente d’outils permettant d’identifier les clients au moment de l’activation des puces.

Au plus fort de la période de régularisation, nous nous sommes investis sur le terrain en y déployant des milliers de personnes. Au moment où je vous parle, nous avons toute une équipe dédiée à la vérification des informations saisies et à la mise à jour de ces informations. Car, ce n’est pas parce que vous avez fourni une pièce d’identité à un moment donné que cette pièce reste valable à vie. Quand elle arrive à expiration, nous sommes censés mettre à jour les données de l’abonné avec les références de la nouvelle pièce d’identité. Si elles ne sont pas mises à jour à temps, ou en l’absence de production de la nouvelle pièce, le numéro est considéré comme non ou mal identifié. C’est un processus continu. Nous avons énormément investi pour cela.

TIC Mag : Quelques chiffres de ces investissements ?

EMB : Je ne vais pas fournir de chiffres, car nous continuons d’investir.  Je vous donne un exemple, dans notre application d’identification, nous avions introduit une fonctionnalité qui permettait de lire le code MRZ. Un code que l’on retrouve sur nos cartes d’identité précédentes et qui permettait de capturer automatiquement un certain nombre d’informations clés d’identification des abonnés : noms, prénoms, numéro de CNI, date de naissance, etc.  Avec cet outil, nous étions sûrs d’être à l’abri des erreurs de saisie sur ces informations clé. Ce qui peut arriver quand vous avez des milliers de données à saisir. Cela fonctionnait très bien.

Mais, entre-temps, les cartes nationales d’identité sont désormais mieux sécurisées avec une carte à puce incorporée. Elles n’ont plus de code MRZ. Aujourd’hui, il faut saisir les données des personnes titulaires de ces cartes et nos ingénieurs sont de nouveau en train de travailler à trouver quelle est la solution qui permet de capturer de façon automatique le maximum d’informations pour éviter des erreurs de saisie.

Il suffit de changer un chiffre dans une carte d’identité pour que ce ne soit plus conforme.  C’est ce qui explique les difficultés que nous avons. Evidemment, le rôle du Régulateur est de faire appliquer la réglementation telle qu’elle existe.  Mais, la réalité et les défis qui se posent à nous sont globaux par rapport au traitement de ce dossier. Notre engagement de nous conformer à la réglementation est ferme. Nous avons l’humilité cependant de reconnaître que ce n’est pas facile. Avoir zéro défaut en cette matière, dans la situation actuelle, est extrêmement difficile ; et ce n’est pas spécifique à Orange Cameroun. Ce qui explique que tous les opérateurs en cette matière ont tous été sanctionnés.

TIC Mag : Le régulateur télécoms comprend-il ces spécificités et vos explications ?

EMB : Le régulateur comprend les difficultés que nous soulevons !  Mais, une fois qu’un texte est signé, son rôle c’est de le faire appliquer, tant qu’il n’a pas été modifié. Il est dans son rôle.

TIC Mag : Où en est-on avec l’amélioration de la qualité de service chez Orange Cameroun ?

EMB : Je vais commencer par dire qu’à Orange Cameroun, satisfaire nos clients c’est notre priorité. Nous nous organisons au quotidien pour que la qualité de service soit meilleure. Mais, c’est une quête perpétuelle et continue. Il y a des périodes où on y arrive mieux que d’autres. Notre volonté et notre engagement sont immuables.  Notre réseau a subi une transformation significative au fil des années ; transformations visant justement à l’amélioration de la qualité de service et à l’augmentation des débits.

Cameroun : Philémon Zoo Zame présente à Frédéric Debord les défis que le régulateur attend d’Orange
15 février 2018. Yaoundé. ART. Philémon Zoo Zame, le DG de l’ART, Frédéric Debord, le nouveau DG d’Orange Cameroun et Elisabeth Medou Badang, DG sortante. Photo : ART
Nous avons eu une discussion avec le régulateur il y a deux semaines sur cette problématique de qualité de service. Et ce, avec les différents opérateurs. Les opérateurs ont exprimé au régulateur les leviers de stabilisation rapide de la qualité de service. Elisabeth Medou Badang

Dans un tel contexte il y a des impacts sur l’expérience client qui peuvent être plus ou moins perceptibles. Les phases les plus grandes de cette transformation sont derrière nous, même s’il reste des évolutions importantes dans quelques zones. Mais, nous nous attelons à faire en sorte que les impacts soient le plus réduit possible pendant cette transition. Nous avons également revu le design de nos réseaux, car ce sont des réseaux dynamiques. Nous avons revu les plans de fréquences. Au-delà de tout cela, il faut également noter qu’il y a des facteurs exogènes qui impactent la qualité de service. Pour certaines, nous parvenons à trouver des palliatifs, en revanche pour d’autres nous n’avons pas ou peu de marge de manœuvre.

TIC Mag : Quels sont ces facteurs exogènes ?

EMB : Précédemment, nous utilisions nos propres infrastructures de transmission. Compte tenu du développement de l’Internet et de l’augmentation du volume des données, nous avons besoin de la fibre optique. Si vous avez une fibre optique unique et linéaire qui part de Ngaoundéré à Kousseri, quand elle est coupée, la continuité de service est impactée. Le délai de rétablissement est de quelques heures dans le meilleur des cas. Ce n’est pas spécifique au Cameroun.

Sauf que pour pouvoir gérer cette réalité, il faut un réseau plus résilient. Il faut des boucles de sécurisation. S’il y a coupure entre Douala et Yaoundé par exemple, on passe par Bafoussam.  Je vais également ajouter la possibilité d’accéder à d’autres infrastructures de fibre qui existent. Car, il y a d’autres opérateurs qui ont des infrastructures. S’il nous était possible d’utiliser toutes ces infrastructures, cela permettrait que les coupures soient moins perceptibles pour le client final. En résumé, nous faisons tout ce qui est à notre pouvoir pour donner satisfaction à nos clients. Et c’est une quête permanente.

TIC Mag : Quand vous évoquez le problème de l’accès aux infrastructures, c’est le monopole de Camtel sur le déploiement de la fibre optique entre les villes que vous pointez du doigt ?

EMB : Cela peut être la réponse. Mais, il y a des infrastructures qui existent. Nexttel par exemple a déployé la fibre optique sur une bonne partie du territoire. Cette fibre ne nous est pas accessible. Il faut qu’on trouve des mécanismes pour qu’elle soit accessible. Evidemment, sans avoir besoin de pénaliser qui que ce soit. Il y a un certain nombre d’évolutions ou d’ajustements dans le cadre réglementaire qui peuvent contribuer à faciliter les choses.

Nous avons eu une discussion avec le régulateur il y a deux semaines sur cette problématique de qualité de service. Et ce, avec les différents opérateurs. Les opérateurs ont exprimé au régulateur les leviers de stabilisation rapide de la qualité de service.  Au-delà des initiatives qui sont sous notre contrôle et pour lesquelles les plans d’action précis sont en cours, je me permets de  souligner à nouveau  les facteurs exogènes d’amélioration structurelle de la qualité de service: l’accès à toutes  infrastructures en fibre permettant une redondance de la fibre de Camtel, la construction des boucles de sécurisation , l’optimisation de la répartition des fréquences, la mise à disposition des fréquences et évidemment l’amélioration de la fourniture d’énergie qui constitue  également un levier important.

TIC Mag : Lorsque vous évoquez la mise à disposition des fréquences, doit-on comprendre que jusqu’ici les pouvoirs publics ne vous ont pas encore assigné les fréquences de la 4G ?

EMB : Nous avons des fréquences sur lesquelles nous émettons en 4 G. Mais, sans rentrer dans une explication très technique, les fréquences hautes ont une capacité en terme de couverture moins bonne que les fréquences basses. Si nous voulons couvrir une ville comme Douala ou Yaoundé avec la 4G et avec une bonne qualité de service à l’intérieur des bâtiments, ce sera plus efficace d’y parvenir avec les fréquences basses.

Aujourd’hui, nous émettons en 4G sur la fréquence 1800 MHZ. Il y a des projets en cours auprès du régulateur et du Ministère pour que les fréquences des bandes basses (800 Mhz et 700 Mhz) nous soient assignées d’une part ; et d’autre part, la réorganisation de la bande de fréquences de 1800 Mhz elle-même est un élément d’amélioration de la qualité de service.  Mais, le développement du trafic sur la 4G va impérativement nécessiter que nous ayons ces fréquences 4G de la bande de 800 Mhz à très court terme. Autrement, la qualité sera négativement impactée.

Cameroun : Orange nie avoir des factures impayées chez Camtel qui menace à nouveau de tout couper
Elisabeth Medou Badang (DG d’Orange Cameroun) et Bruno Mettling (PDG Afrique Afrique d’Orange) à Yaoundé au Cameroun
Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que Orange Cameroun est engagée à faire en sorte que la couverture des stades et de lieux de vie des supporters et joueurs pendant la CAN soit des plus pertinente. Nous nous organisons pour pouvoir atteindre cet objectif. La plupart des villes où la CAN va se jouer sont déjà couvertes par la 4G. Celles qui ne le sont pas le seront avant le début de cette compétition.Elisabeth Medou Badang

TIC Mag : Dans cette situation, pensez-vous que la qualité de service de la 4G offerte par Orange Cameroun permettra au Cameroun d’organiser la Can 2019, car certains experts de la CAF en visite technique au Cameroun auraient laissé entendre qu’il y a des réserves sur la qualité de la 4G déployée dans le pays ?

EMB : Je ne sais pas du tout à quoi ils faisaient référence. Je n’ai pas vu de manière formelle leur propos.  Aujourd’hui, j’ai plus de questions que de réponses. La première question qui me vient à l’esprit : « comment ont-ils essayé les services 4G ? » « Etaient-ils en roaming ? » S’ils étaient en roaming, pour qu’ils expérimentent la 4G, il faudrait que les accords de roaming sur la 4G entre les opérateurs de leurs pays et les opérateurs du Cameroun soient effectifs.

Supposons qu’ils aient utilisé une carte SIM locale. S’ils ont utilisé une SIM Orange, toutes nos SIM sont à présent en 4G.  Il faut cependant que d’une part le téléphone du client soit compatible 4G et que le client active cette fonctionnalité. Je trouve encore des clients qui se plaignent de la qualité de la 4G alors qu’ils n’ont pas de téléphone compatible 4G.

En définitive, ne sachant pas quel protocole de test a été mis en œuvre, je ne saurais commenter les propos qui sont prêtés aux experts de la CAF. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que Orange Cameroun est engagée à faire en sorte que la couverture des stades et de lieux de vie des supporters et joueurs pendant la CAN soit des plus pertinente. Nous nous organisons pour pouvoir atteindre cet objectif. La plupart des villes où la CAN va se jouer sont déjà couvertes par la 4G. Celles qui ne le sont pas le seront avant le début de cette compétition.

TIC Mag : Comment évaluez –vous la participation d’Orange Cameroun dans le budget du Cameroun durant vos quatre années à la tête de l’entreprise ?

EMB :. Je pense que les services des Impôts ou plus généralement du ministère des Finances sont mieux placés pour répondre à cette question. Mais, si je m’en tiens à nos statistiques, c’est en centaine de milliards de francs Cfa que nous avons contribué au budget de l’Etat du Cameroun ces quatre dernières années. Sauf erreur de ma part, nous sommes au-delà de 200 milliards de francs Cfa en termes d’impôts, droits taxes et autres. Je ne compte pas les droits de renouvellement des licences dans ce chiffre.

TIC Mag : Avec cette participation, quelle appréciation globale faites-vous de vos rapports avec le gouvernement camerounais ?

EMB : Je dirais que nous avons de très bons rapports avec le gouvernement. Avoir de bons rapports, cela ne veut pas dire que vous êtes d’accord sur tout et que vous obtenez tout ce que vous demandez. Personnellement, quand je suis arrivée, j’ai été très bien accueillie. Tous les membres du gouvernement ici m’ont dit leur fierté de m’avoir comme DG d’Orange Cameroun. Au-delà de ma personne, l’Etat a réaffirmé de manière constante son engagement à créer et maintenir les conditions permettant à l’investisseur Orange et de manière générale à tous les autres de continuer à se développer .

Leur disponibilité et leur écoute ont été constantes. Maintenant, est-ce que cela veut dire que nous n’avons eu aucun problème ?  L’Etat est dans son rôle. Nous à Orange, nous restons dans le nôtre. La plupart du temps, cela converge.  Mais, il y a évidemment des cas où nous ne sommes pas forcément d’accord. Pour autant, cela n’a pas d’impact sur la qualité de la relation que nous entretenons.

TIC Mag : Parlons à présent de la concurrence. Sur le champ du paiement mobile au Cameroun, Orange Money peut revendiquer avec fierté le leadership. Quelle stratégie avez-vous mise en place pour être leader dans ce segment du marché?

EMB :  Je dirai que c’est un choix stratégique que nous avons fait et nous nous sommes organisés en conséquence. Nous avons investi dans cette activité, à perte pendant plusieurs années, parce que nous savions que nous avions besoin de développer ce service, d’éduquer le marché et créer un écosystème favorable.

Au-delà du choix stratégique, il y a évidemment les facteurs clés de succès habituels dans notre industrie : l’innovation, la simplicité d’utilisation, la proximité avec les clients, le réseau de distribution porté par des partenaires motivés… Quand on voit le taux de bancarisation du pays, quand on voit nos modes d’échanges qui sont essentiellement en espèces, l’on comprend que ce service trouve sa place dans la vie quotidienne des Camerounais.

TIC Mag : Quels sont les chiffres qui font Orange Money aujourd’hui au Cameroun. Ailleurs, dans d’autres pays africains, on parle de dizaines de milliards de francs Cfa de transactions mensuelles via Orange Money. Quid du Cameroun ?

EMB : Je ne vais pas donner des chiffres, parce que l’interprétation qui peut en être fait peut s’avérer contre-productive. Ce que je peux dire c’est que la Banque centrale suit les statistiques de développement de ce service au Cameroun et que c’est un développement qui se distingue très nettement au-dessus des autres pays de la CEMAC.

TIC Mag : Peut-on avoir une idée du nombre d’abonnés d’Orange Money qui est assez indicateur du leadership d’Orange dans le paiement mobile au Cameroun ?

EMB : Le leadership d’Orange Cameroun dans ce domaine est incontesté. Que cela soit en nombre de clients actifs ou en valeur de transactions quotidiennes. C’est toujours délicat de publier de tels chiffres, parce que c’est souvent sujet à des interprétations non contrôlées.

TIC Mag : Le dynamisme d’Orange Cameroun dans le secteur du paiement mobile n’est malheureusement pas observé en matière de recrutement de nouveaux abonnés mobiles. MTN Cameroon reste le leader du marché que vous n’avez pas pu dépasser. Ne partez-vous pas du Cameroun avec un pincement au cœur concernant ce segment-là ?

EMB : Non ! Il n’y a pas un pincement, parce que nous avions défini une feuille de route, un plan stratégique avec un horizon précis. Notre cheminement a été cohérent par rapport à cette feuille de route-là. Le marché s’est enrichi d’un nouvel opérateur. Je peux vous dire qu’en termes de résilience, nous avons eu la meilleure résilience du marché.

TIC Mag : Après la polémique qu’il y a eu entre Orange Cameroun et Camtel au sujet de la facture contestée sur la location des capacités de la fibre optique, quelle est aujourd’hui la nature de vos rapports avec l’opérateur historique ?

EMB : L’opérateur historique Camtel est l’un de nos principaux fournisseurs. Il gère la fibre optique sur laquelle nos sites sont connectés. Il transporte les signaux de notre réseau. C’est un fournisseur important.

TIC Mag : La polémique est passée ?

EMB : Vous savez, comme dans toutes les relations, des désaccords peuvent naître entre les parties. Chacune défend ses intérêts de la façon qui lui semble la plus pertinente. Cela n’empêche de continuer à avancer à partir du moment où les deux parties considèrent que la relation contractuelle qui les lie reste pertinente. Et c’est le cas. Nous continuons d’avancer chacun dans son rôle.

TIC Mag : Comment contournez-vous la concurrence des nouveaux opérateurs que sont WhatsApp, Facebook, Skype ou encore Viber qui grignotent considérablement vos chiffres d’affaires ?

EMB : La seule chose à faire pour nous, c’est de transformer notre business model et de trouver de nouveaux relais de croissance. Nous ne songeons pas à empêcher à l’abonné d’aller sur WhatsApp. C’est une tendance inéluctable qui n’est pas spécifique au marché camerounais.  Nous pensons que nous pouvons l’amener à développer l’usage d’autres services en plus de WhatsApp etc. et créer ainsi de la valeur. C’est à nous de nous renouveler, d’identifier les usages utiles pour le client.

70 à 80% des revenus des opérateurs en Afrique sont tirés des appels voix ou sms. Ce taux est cependant en très forte baisse. La structure du chiffre d’affaires des opérateurs change. Dans les trois ou quatre prochaines années ce pourcentage sera de l’ordre de 60% voire 50%. Les clients téléphonent ou échangent des messages de plus en plus sur WhatsApp, Facebook ou Viber.

D’où cette tendance qui est déjà observée sur notre marché en valeur absolue et en valeur relative. Les revenus voix d’Orange Cameroun et de MTN Cameroon sont en baisse continuelle depuis plusieurs mois. Ils baissent du fait de l’usage des OTT, mais également de l’intensification de la concurrence. Mais, le développement de nouveaux relais de croissance permet de rééquilibrer les choses.

TIC Mag : Et pour Orange Cameroun, ces relais de croissance sont les données mobiles et le paiement mobile…

EMB : Entre autres. Cette transformation digitale, nous la voyons comme une opportunité. C’est le sens de l’histoire. C’est à nous de trouver les propositions les plus pertinentes permettant aux clients d’utiliser leurs services pas seulement pour passer un appel ou en recevoir, envoyer un message ou en recevoir. Nous avons le réseau, nous avons la capacité à toucher le client partout au Cameroun, il nous incombe de capitaliser là-dessus.

TIC Mag : Cela nous permet de faire une transition et de parler de votre perception du développement économie numérique de 2014 à 2018. Quelle évaluation en faites-vous ?

EMB : Le chemin parcouru est immense. Quand j’arrive en 2014, il n’y a pas la 3G au Cameroun. Elle arrive au Cameroun en septembre 2014. Trois années plus tard, la 3G c’est banal et la 4G est très répandue. Il n’y a pas beaucoup de marchés où cette transformation a été aussi rapide. Je considère que c’est une évolution positive. Même si on peut toujours faire mieux.

Le nombre de kilomètres de fibre optique déployée a également augmenté de manière significative. Le taux de pénétration de l’internet a crû de manière exponentielle. Nous sommes partis de 5% en 2015 à plus de 20% en 2017. Cette capacité d’absorption du changement technologique par les clients au Cameroun est très encourageante. Elle montre les opportunités que la transformation digitale suscite.

Il faut que les facteurs clé du développement de l’économie numérique soient activés de manière à pouvoir en tirer le meilleur parti. Cela oblige à la transformation, pas seulement des opérateurs mobiles, mais de plusieurs activités connexes susceptibles d’être impactées par le développement de cette nouvelle économie.

TIC Mag : Quels sont ces facteurs clés du développement de l’économie numérique qu’il faut activer ?

EMB : Il y a d’abord l’accès au haut débit. Il est question ici non seulement de réseau, mais également d’accès aux terminaux (smarphones, dominos, clés etc) ou encore de tarifs abordables. Des efforts sont déjà faits dans ce sens.

S’agissant des terminaux, là également la dynamique du marché fait que vous avez des téléphones compatibles 4G qui coûtent à peine 30 000 francs Cfa et 3G à moins de 20000 F.Cfa. Il y a ensuite la nécessité de développer un écosystème qui va impulser l’innovation vers des services spécifiques correspondants aux besoins des clients. Il faut également des moyens de paiement dématérialisés et disponibles partout. L’économie numérique est susceptible de transformer tous les secteurs de la vie des individus et des entreprises ou de l’Etat.

TIC Mag : D’après vous, quel est le rôle de l’Etat dans la construction de cet écosystème ?

EMB : L’Etat est facilitateur. C’est son rôle ! S’assurer que ce développement numérique ne se fasse pas seulement dans les localités qui ont un pouvoir d’achat important. Ce développement doit être inclusif. En ce sens, l’Etat a un rôle clé ! Avant d’être numérique, c’est de l ’économie dont il est question. Ce qui suppose un climat des affaires propice.

TIC Mag : Quel bilan personnel faites-vous de vos quatre années à Orange Cameroun ?

EMB : Plutôt qu’un bilan je préfère mentionner quelques réalisations. Je pense que le chemin parcouru est important. Si je prends le domaine de la transformation du réseau, nous avons étendu la couverture 2G de 70%. Nous avons renouvelé tout le réseau d’accès. Nous sommes passés de la 2G à la 3G, puis à la 4G. Nous avons changé nos infrastructures de transmission.

Nous avons sécurisé le réseau d’accès et renforcé sa résilience. Nous avons construit un data center dans les règles de l’art qui nous permet non seulement d’héberger notre cœur de réseau et nos plateformes de service dans de meilleures conditions, mais également d’accompagner les besoins de conservation des données des clients.  Vous avez également évoqué le leadership dans le secteur du paiement mobile.

En interne, nous avons été TOP employeur depuis trois ans déjà. La première fois, c’était en 2015. Nous n’avions jamais eu une telle distinction. Cela montre des avancées en matière de gestion des ressources humaines et de développement des compétences. Nous avons renforcé les processus d’identification et de développement des talents. Nous avons, et je m’en réjouis, un certain nombre de talents camerounais qui ont été admis dans le vivier de talents du groupe Orange (Talent pool). Nous avons amélioré le cadre de travail de nos équipes grâce notamment à notre nouveau siège.

Orange Cameroun désigné Top Employer 2015
A la réception de la distinction TOP Employeur en 2015
Les projets qui m’ont le plus marqué ? Je commencerai par la dynamique collective que nous avons pu créer ensemble, Orange Money, le Datacenter (qui est une contribution importante pour le Cameroun en dehors de ce que cela apporte à Orange), la satisfaction TOP Employeur (car les réformes se font avec les hommes) et enfin la victoire avec les Lions indomptables…Elisabeth Medou Badang

Nous avons également innové dans plusieurs domaines. La tarification par exemple. Nous sommes les premiers à proposer la possibilité à l’abonné de choisir la durée et le volume de son forfait data. Nous avons amélioré l’expérience client. Nous avons mis en place un Centre de test client, pour la prise en compte des avis des clients dans la définition de nos offres. Tout cela participe de notre volonté d’offrir au client la meilleure expérience possible.

TIC Mag : Parmi tous ces projets, quel est celui dont vous êtes le plus fière ?

EMB : Il y en a plusieurs. Je commencerai par la dynamique collective que nous avons pu créer ensemble, Orange Money, le Datacenter (qui est une contribution importante pour le Cameroun en dehors de ce que cela apporte à Orange), la satisfaction TOP Employeur (car les réformes se font avec les hommes) et enfin la victoire avec les Lions indomptables à la CAN 2017. Ah Oui ! Orange est sponsor officiel des Lions indomptables, l’équipe nationale de football du Cameroun. Nous attendions cette victoire depuis longtemps et j’étais particulièrement contente qu’elle soit arrivée pendant que j’étais à la tête de l’entreprise

TIC Mag : Quel est le projet que vous n’avez pas réalisé et que vous auriez bien voulu réaliser ?

EMB : Il y a plein de choses et de belles initiatives qui restent à mettre en œuvre. Chaque jour est spécifique. Chaque période est spécifique. Est-ce que j’aurais pu conduire tous ces projets en même temps que tout le reste ? Je n’en suis pas certaine.  Plutôt que de m’interroger sur ce que je n’ai pas pu réaliser, je vais tâcher de tirer tous les enseignements pertinents de tout ce qui s’est passé pendant ces quatre riches années, en bien et en moins bien.

TIC Mag : Et quels sont ces enseignements-là ?

EMB : Ils sont personnels (Rires). Il me faudrait une heure ou deux pour pouvoir les partager. Mais, on apprend toujours de ce qu’on fait si on se donne le temps de l’introspection. On peut apprendre de ses succès et de ses moins bonnes performances. On s’enrichit tous les jours. Pour peu que l’on prenne un peu de recul. Ma mission se terminant à peine, je ne pense pas avoir complètement pris du recul. Je n’ai pas encore pris la distance suffisante pour pouvoir tirer le meilleur parti de tous les enseignements de cette aventure.

Propos recueillis par Beaugas-Orain DJOYUM

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