Taxe sur les transferts d’argent au Cameroun : « C’est 0,4% qui sera prélevé au total et non 0,2%. Cette double taxation constitue une mesure de spoliation »

La déclaration des organisations de protection des droits et intérêts des consommateurs du Cameroun sur la problématique de la vie chère et de la taxe sur les transferts d’argent par  voie de communications électroniques.

  1. CONTEXTE 

I-1 présentation de la taxe sur les transferts

L’une des questions au cœur de l’actualité de notre pays ces jours est la projection budgétaire du gouvernement pour l’année 2022. Le Projet de Loi de Finances actuellement en examen et en adoption au parlement consacre l’avènement de nouvelles dispositions fiscales notamment, la taxe sur les transferts d’argent.  L’article 228 Bis du Chapitre 4 de ce document de Projection budgétaire, dispose en effet que:” Il est institué une taxe sur les opérations de transfert d’argent” avec pour champ d’application, les opérations de transfert d’argent réalisées par tout moyen ou support technique laissant trace, notamment par voie électronique, téléphonie mobile, télégraphique ou par voie de télex ou télécopie, à l’exception des virements bancaires et des transferts pour le règlement des impôts, droits et taxes, les retraits en numéraire consécutifs à un transfert d’argent effectué auprès des établissements financiers ou des entreprises de téléphonie.

La base d’imposition de la dite taxe est constituée par le montant des sommes transférées ou retirées au taux de 0,2% du montant de l’opération de transfère ou de retrait.  S’agissant des modalités de paiement, le texte dispose  par ailleurs que  la taxe sur les transferts d’argent est collectée par les entreprises prestataires et reversée mensuellement au plus tard le 15 du mois qui suit celui au cours duquel les opérations ont été réalisées auprès de leur centre des impôts de rattachement.

I-2 Remous des consommateurs

 A la lecture de ces nouvelles mesures prévues, les voix des consommateurs se sont élevées pour s’en inquiéter  au motif de la nature de cette taxe et de son impact dans leurs économies.  L’une des principales griefs formulées est le fait qu’un même montant fera l’objet d’une double taxation soit 0,2% au transfère et 0,2% au retrait soit un taux total de 0,4%, or  le  principe fiscal voudrait que lorsqu’une opération subit déjà un impôt, on ne puisse plus ajouter un autre impôt.

 Les personnes qui contestent  ne trouvent donc pas l’opportunité d’introduire cette nouvelle taxe dite taxe spéciale  et  de la faire de surcroit  supporter par le consommateur qui paye déjà les frais de la TVA prélevés  dans ces transferts.

I-3 Justification de la direction des Impôts

Dans une démarche explicative  et non convaincante,  le Directeur Général des Impôts dans une note intitulée: “Taxe sur les transferts d’argent : faut-il avoir peur?” minimise l’impact que cette mesure aura sur le consommateur. Il indique  que le gouvernement attend beaucoup de cette nouvelle taxe en termes de retombées financières (prévisions de recettes estimées à environ FCFA 20 milliards au titre de l’exercice 2022).

Les éclairages apportés par les responsables de l’administration fiscale  laissent transparaitre que dans leur esprit,  la taxe sur les transferts d’argent ne devrait pas changer les habitudes de consommation des ménages, en ceci que son taux qui est de 0,2% applicable au montant de la somme transférée ou retirée, n’a pas vocation à renchérir les coûts de transferts par voie électronique. Ainsi, pour un transfert de FCFA 5000 par exemple,  le coût de la taxe serait de seulement FCFA 10. Il en est de même des retraits.

Les  initiateurs de cette mesure  arguent par ailleurs que ce tarif  est en deçà de ceux pratiqués ailleurs (1% au Congo, 1,5% au Gabon, 0,5% en Côte d’Ivoire et en Ouganda, 10% au Ghana et au Kenya).  Les autorités  n’ont malheureusement pas cité le cas du Sénégal où Rudement concurrencé par la start-up américaine Wave qui applique un taux de 0% pour les dépôts et les retraits,  le service Orange Orange Money a annoncé la réduction drastique des frais d’envoi. Abaissés il y a quelques mois déjà à 1%, Orange Money a finalement décidé de les réduire à 0,8% du montant à envoyer. Parallèlement à cette mesure, Orange Money supprime purement et simplement le frais de retrait. Cela peut également être appliqué dans notre pays  où la tarification des produits et services des communications électroniques menace fortement les intérêts économique des Consommateurs, soit dit en passant.

I-4 Adoption de la loi

Suivant de près cette actualité, nous avons constaté que les députés à l’assemblée Nationale ont été plutôt convaincus par les éclairages du gouvernement  en adoptant cette mesure qui n’entraine pas l’adhésion des consommateurs.

Face  à cette situation, nous associations de protection des Droits et Intérêts des Consommateurs  signataires de la Présente déclaration,  en vertu de nos missions consacrées par les instruments juridiques internationaux et nationaux,  formulons   certaines  observations sur la forme et la fond.

II- DENONCIATION DES ASSOCIATIONS DES CONSOMMATEURS

II-1 Sur la Forme : violation du droit à la représentativité des consommateurs

 Il convient de rappeler que le processus d’adoption de tout projet de texte législatif et réglementaire ayant un impact sur les consommateurs est bien encadré dans notre pays  par la loi -Cadre n° 2011/012 du 06 Mai 2011  portant protection des consommateurs au Cameroun. L’article 23 de la dite loi rappelle l’un des droits fondamentaux du Consommateur à savoir, le Droit à la participation et à la représentativité.

 Le Décret n°2016/0003/PM du 13 janvier 2016 du Premier Ministre qui porte organisation et fonctionnement du Conseil National de la Consommation assigne à cette institution, plusieurs missions dont celle d’émettre les avis sur tous les projets de texte à caractère législatif et réglementaire susceptibles d’avoir une incidence sur la consommation de biens et services ou sur la protection du consommateur.

 Socle de notre arsenal juridique national, les principes Directeurs des Nations portant protection des droits des consommateurs et les Directives CEMAC harmonisant la protection des Consommateurs dans la sous-région rappellent  le caractère vulnérable des consommateurs et posent le principe d’intégration lors de la formulation et de la mise en œuvre de politiques publiques  et de la prévention des atteintes aux intérêts des consommateurs.  Ces instruments juridiques internationaux, consacrent et  reconnaissent aux consommateurs entre autres, le  droit à la protection et à la promotion de ses intérêts économiques, le droit à la représentation des intérêts collectifs qu’un consommateur  partage avec les autres  consommateurs, le droit de participer aux processus de prise de décisions le concernant.

A la lumière de toutes ces dispositions force est de constater que le processus d’adoption des lois des finances dans notre pays n’intègrent toujours pas cette démarche légale et réglementaire, ce malgré de nombreuses requêtes formulées par les associations de protection des droits et intérêts des Consommateurs. 

II-2 Sur le fond :

II-2.1  trop d’impôts tue l’impôt

A l’analyse des mesures envisagées par le gouvernement,  il  se dégage que  la nouvelle taxe instituée va à l’encontre  des recommandations des Objectifs de Développement Durable (ODD), qui  préconisent les transferts par téléphonie mobile et la microfinance comme instruments d’inclusion financière des populations vulnérables et défavorisées.  Ceci est d’ailleurs  repris par la Stratégie Nationale de Développement à l’Horizon 2030 (SND 30) qui prône l’inclusion financière.

         Contrairement aux éclairages des autorités de l’administration fiscale qui tendent a minimiser l’impact de cette taxe qui va tout de même générer 20 milliards de Fcfa dans les caisses de l’État selon les prévisions, l’institution de cette taxe spécifique va accentuer la pression fiscale avec les risques de thésaurisation accrue, car le mobile money  ou banque de proximité est une forme de guichet mobile des banques.  Il y a donc risque de réduction du taux de bancarisation avec un effet contre productif au niveau économique, la stagnation voire, la réduction de la croissance économique.

         Telle  que présentée cette mesure n’entraine pas qu’un taux de 0,2%. Car tout dépôt effectué est appelé à être retiré et par conséquent, pour un même montant déposé ou transféré, c’est 0,4%  qui sera prélevé au total et non 0,2%. Cette double taxation constitue une mesure de spoliation des consommateurs dont le pouvoir d’achat et les conditions de vie ne cessent de se dégrader.

          Point n’est besoin de rappeler le contexte de la vie chère avec les prix des produits et services  qui ne cessent d’accroitre au quotidien.  Malgré les mesures gouvernementales annoncées les prix du Ciment, du poisson, du riz des huiles végétales raffinées, la viande de bœuf connaissent une inflation sur le marché.  Avec le  lancement du projet de marquage fiscal des bières annoncée  pour l’année prochaine, il est évident que les produits brassicoles connaitront eux aussi  une augmentation des prix.

Dans les secteurs des communications électroniques, la qualité du service a rarement suivi les coûts des prestations extrêmement élevés. Les prix sont souvent augmentés au bon gré des intérêts des sociétés multinationales qui dominent ce marché dans notre pays.

         II-2.2 Appauvrissement des consommateurs aux revenus déjà trop faibles

Dans un tel contexte où le consommateur suffoque, par ce que supportant directement ou indirectement le fardeau des taxes diverses liées à la consommation, il est impensable d’introduire une nouvelle taxe fut -elle modérée comme le laisse entendre ses initiateurs.

 Partant du rôle économique de la monnaie qui n’est pas une marchandise mais plutôt  un moyen de circulation de la marchandise, la nouvelle taxe proposée présente le risque d’exclusion financière des personnes vulnérables avec un problème de difficulté d’accès et d’usage lié à la perception  et à la méfiance qui va désormais s’installer chez ces couches de la population.

         Compte tenu de ce qui précède sur la forme et le fond,   nous  associations  signataires de la présentent déclaration:

1- Demandons  l’annulation des  dispositions de l’article 228 bis du projet de loi de finances du Cameroun pour l’exercice 2022;

2-  Appelons à la mise en place d’un cadre de concertation permanente entre les associations de protection des Droits des Consommateurs et l’administration fiscale;

3-  Rappelons la nécessité pour les acteurs concernés, de respecter  les dispositions législatives nationales et internationales portant protection des consommateurs et prescrivant la concertation de ces derniers.

                                                               Fait à Yaoundé le 9 Décembre  2021.

Ont Signé

–  Coalition des Consommateurs camerounais (CCC)

– Réseau de Défenseurs des Droits des Consommateurs (REDCO)

–  Association des Consommateurs des Produits bancaires et financiers du Cameroun ( ACFI-CMR)

– Observatoire  des Assurés, des victimes et des bénéficiaires des contrats d’assurance ( OABA)

–  Réseau des Consommateurs d’eau et des produits pétroliers du Cameroun ( RCEP)

– Consortium des Consommateurs d’eau et des Énergies du Cameroun ( C2E2)

–  Organisme d’appui à la protection des Consommateurs ( OAPC)

–  Plateforme Forme Camerounaise du  Commerce Équitable ( P2CE)

–  Nouvelle Vision d’Afrique des Droits de l’Homme et du Consommateur (NOVIA- DHC)

– Fonds Juridique pour la Protection des Consommateurs ( FOPRODEC)

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