Me Akere T. Muna : « Les TIC peuvent résoudre au moins 60% des problèmes de gouvernance »

(TIC MAg) – Le célèbre avocat camerounais, ex vice-président de Transparency International et ex président du Conseil économique, social et culturel (Ecosoc) de l’Union africaine (UA) soutient que le Cameroun peut être une véritable locomotive de la sous-région s’il adopte une réelle politique des TIC et si les départements ministériels harmonisent leurs actions dans ce secteur. Rencontre avec le président de l’International Anti-corruption Conference (IACC).

TIC Mag : Pourquoi l’avocat actif dans le domaine de la Gouvernance et de la justice que vous êtes s’intéresse-t-il au secteur des TIC au point d’organiser un forum sur le sujet le 19 novembre dernier à Yaoundé ?

Me Akere T. Muna : Je pense que les TIC peuvent jouer un rôle en ce qui concerne la gouvernance. J’ai commencé à m’intéresser aux TIC à cause du programme gouvernemental eProcurement implémenté par le ministère des Marchés publics. C’est en réalité quelque chose que je demande depuis. Le système d’eProcument va apaiser tous les soupçons qui sont apportés sur le système national d’octroi des marchés publics. Vous avez suivi récemment, certains fonctionnaires ont quatre matricules. A mon avis, les TIC peuvent résoudre au moins 60% des problèmes de gouvernance. Y compris la corruption et tout ce qui va avec. Voilà pourquoi le sujet m’intéresse.

Au niveau judiciaire par exemple, j’envoie parfois un avocat de Yaoundé à Maroua pour relever une décision de justice. Pourtant, aux Etats-Unis, la plupart des décisions de justice, sont disponibles en ligne. A partir du Cameroun, je peux m’asseoir à Yaoundé et avoir les décisions de justice aux Etats-Unis en quelques minutes. Dois-je partir de Yaoundé pour aller déposer des écrits à Maroua en matière civile ? Pour que l’on renvoie cela dans deux semaines en plus. Pourtant, je peux facilement envoyer cela en ligne. Les TIC sont là, pour rendre la vie facile. Comment est-ce que les TIC peuvent nous aider ? comment les TIC peuvent devenir un moteur de la croissance ?

Avoir des départements ministériels qui investissent chacun de manière unique et commune dans le secteur des TIC va améliorer la situation actuelle. Je ne suis pas expert en TIC, mais on invente rien. A travers ce forum donc, nous souhaitions voir ce que nous pouvons faire dans l’urgence pour valoriser le potentiel camerounais en matière des TIC.

TIC Mag : Au terme du forum sur les TIC que vous avez organisé, vous recommandez l’harmonisation des politiques des départements ministériels en matière des TIC. Quel peut être l’impact d’une telle mesure ?

Me Akere T. Muna : Prenons un exemple. Dans le processus d’identification des abonnés de la téléphonie mobile, si un Camerounais va s’identifier avec une fausse carte nationale d’identité, comment l’opérateur mobile saura-t-il que c’est une fausse carte ? S’il y avait un terminal qui permettait à MTN ou Orange de frapper votre nom pour vérifier, ce serait plus facile. Qu’est ce qui empêche d’avoir un système où la Carte d’identité nationale délivrée par la police, la carte grise de votre voiture, le titre foncier de votre maison si vous en avez, le permis de conduire, votre matricule comme contribuable, tous délivrés par des départements ministériels différents, soient disponibles sur une seule plateforme. Si quelqu’un va à la mairie prendre un certificat de décès pour récupérer l’argent de votre solde, la base de données signalera que le salaire est en train d’être payé à une personne morte et le paiement ne sera pas fait.

Je reviens d’une activité de l’Ordre des médecins du Cameroun et son président dit qu’il y a des médecins qui ont signé des certificats de genre de mort pour permettre aux familles d’aller toucher des primes d’assurance vie. Il y a des gens qui font des certificats médicaux qui montrent que des gens sont malades quand ils ne le sont pas. Quand vous avez un système où les départements ministériels sont interconnectés, c’est compliqué pour les fraudeurs de s’en sortir et c’est très facile pour ceux qui veulent vivre normalement. Surtout quand vous avez un gouvernement qui a un ministère en charge de l’Enseignement primaire, un autre en charge des Enseignements secondaires, un autre en charge de l’Enseignement supérieur, etc. Je suis sûr qu’il y a moyen d’interconnecter ces départements ministériels pour faciliter la vie aux citoyens normaux qui subissent en ce moment une espèce de punition. Je pense que l’informatique et les TIC vont beaucoup nous aider.

TIC Mag : Les populations devraient-ils craindre les TIC avec les données personnelles qui sont aujourd’hui entre les mains des grands acteurs de l’économie numérique ?

Me Akere T. Muna : C’est vrai que certaines personnes de ma génération ont peur des TIC. Je me rappelle quand en 1973 je revenais pour des congés au Cameroun, j’avais ramené des Etats-Unis une calculatrice miniaturisée à mon père. Il a pris 10 chiffres qu’il a additionné et multiplié en calculant manuellement et a fait les mêmes opérations sur la calculette. C’est après qu’il m’a dit : « Mince ! ta machine ci est vraiment juste ! ». Voyez-vous, c’est une culture, c’est une période, c’est un réflexe. Je pense simplement qu’il y a un travail d’éducation à faire. Et nous avons la chance que des gens ont confiance quand ils voient les autres qui s’en sortent mieux avec les TIC. Personnellement, je pense que si nous ne sautons pas dans ce train des TIC, nous allons être à la plaque. Il ne faut pas que parce que quelqu’un ne maîtrise pas les TIC qu’il pense que c’est pas important. C’est dangereux de penser comme cela. Il faut que nous ayons une politique claire en matière de TIC et il faut qu’on laisse ceux qui sont experts en la matière s’en occuper. C’est vrai qu’il y aura toujours des véreux qu’il faut craindre. Il faut simplement prendre des mesures appropriées pour éviter les dégâts de ces véreux.

TIC Mag : Vous avez été dans de nombreux pays au cours de vos différentes fonctions internationales. Quelles sont les meilleures initiatives en matière de TIC qui vous ont marquées et qu’on peut dupliquer au Cameroun ?

Me Akere T. Muna : Je vais prendre l’exemple du Rwanda en commençant par vous raconter une histoire. Nous étions un samedi et je devais me rendre au Rwanda en urgence lundi pour un rendez-vous important avec le président Kagame. Pendant que je me demandais qui je devais contacter rapidement pour obtenir un visa, on m’a simplement dit : ‘’Allez en ligne et demandez votre visa’’. J’ai donc fait la demande en ligne et le lundi, arrivé à l’aéroport, j’ai payé 50 dollars et c’était tout. C’est extraordinaire ! En moins de dix minutes, tout était OK. On peut implémenter ce système au Cameroun. On le fait déjà également en Côte d’Ivoire, au Sénégal et tout récemment au Gabon. Autre chose qui m’a marqué au Rwanda, c’est la volonté affichée des pouvoirs publics d’aller dans une direction. Cela permet aux populations de comprendre que où l’on va. Et quand on prend une décision, on l’applique. Ici, on a toujours l’impression que lorsqu’on met une politique en place, au début c’est facultatif. Quand les gens voient que c’est facultatif, ils commencent à se plaindre, quand ils se plaignent, on dit qu’il faut suspendre cela pendant un ou deux ans, et puis on abandonne. Vous savez par exemple qu’au Rwanda il n’y a pas de papiers plastiques. Quand vous arrivez à l’aéroport avec un sac plastique, on enlève ce plastique. Vous ne trouverez nulle part au Rwanda des sacs plastiques. Kigali est nickel et propre ! (…)

Propos recueillis par Beaugas-Orain Djoyum

Si vous avez aimé ce texte, vous aimerez bien bien d'autres. Rejoignez notre canal Telegram et notre chaîne WhatsApp pour ne rien manquer de nos infos stratégiques et de nos exclusivités. Aussi, merci de nous laisser votre commentaire au bas de cet article. Bonne navigation.

LAISSER UNE RÉPONSE

SVP, entrez votre commentaire!
Veuillez saisir votre nom ici

spot_img

Plus d'infos

La BOAD et le Cyber Africa Forum pour protéger...

La BOAD et le Cyber Africa Forum pour protéger l'espace numérique dans l'UEMOA, la Green Tech une...
starlink-in-cameroon:-minpostel-asks-spacex-to-suspend-its-satellite-internet-services-–-digital-business-africa

Internet : Pourquoi le Cameroun et l’Afrique doivent négocier...

 - Plusieurs pays africains ont demandé à l'opérateur américain Starlink d'arrêter la commercialisation de ses services d'Internet...

Togo : Une étude des marchés numériques pour lutter...

Togo : Une étude des marchés numériques pour lutter contre la concurrence déloyale en cours