Marc-André Loko: « Dans sa stratégie numérique, le Bénin est dans une logique de diversification des partenaires best in class »
Marc-André LOKO est le Directeur général de l’Agence des Systèmes d’Information et du Numérique (ASIN) du Bénin suite à la fusion des quatre (4) agences d’exécution du secteur du numérique incluant l’Agence pour le Développement du Numérique (ADN) dont il était le Directeur général depuis 2021. Il pilote l’implémentation des projets phares numériques du Programme d’Action du Gouvernement béninois.

Cette interview est disponible en anglais.
Quelle est la stratégie de développement du numérique au Bénin ? Comment cette stratégie compte-t-elle résorber l’écart digital qui prévaut dans certaines parties du pays et comment cette stratégie s’insère-t-elle plus largement au niveau régional africain ?
Le volet numérique du Plan d’Action Gouvernemental (PAG) 2016 a été bâti en collaboration avec Deloitte Monitor. Le nouveau plan 2021-2026 s’inscrit dans la continuité et devient la nouvelle référence. La nouvelle stratégie doit s’animer sur une nouvelle approche plus endogène et axée sur l’adoption des services numériques. Certains pans du plan sont allés plus vite que d’autres. C’est le cas des infrastructures et plateformes numériques de paiement et des projets liés à l’inclusion financière (dont le mobile money). Le développement des compétences numériques et l’entreprenariat deviennent des priorités pour atteindre notre vision et la mettre au service de tous. L’insertion dans le cadre régional constitue un grand défi. Nous n’avons pas les mêmes frameworks. Le Bénin dispose d’un code numérique par exemple qui traite tous les leviers nécessaires pour mettre le numérique au service des autres secteurs. Au Bénin, le code numérique a été réalisé avec la collaboration du cabinet Jones Day et intègre le cadre légal et règlementaire tant des communications électroniques, que la cybersécurité ou la protection des données à caractère personnel. Le domaine de la cybersécurité est celui où il y a le plus de collaboration au niveau régional et la synergie est très forte. Au niveau des infrastructures numériques, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fait collaborer les états sur les interconnexions d’infrastructures de fibres optiques. De même, dans le domaine de l’enseignement et de la recherche, le réseau ouest africain d’éducation et de recherche (WACREN) favorise les synergies entre pays sur les thématiques de la recherche dans l’enseignement supérieur. Cela permet de mettre en réseau les enseignants-chercheurs notamment au niveau du volet enseignement. Avoir une infrastructure commune sur différents thèmes permet d’interconnecter les différents réseaux d’éducation et de recherche de ces pays en Afrique de l’Ouest et centrale. Enfin, l’organisation Smart Africa finance le projet sur l’identité numérique, dont le Bénin a le lead, vise, entre autres, à mettre en place un cadre d’interopérabilité des données d’identité en toute confiance et une solution technique pour permettre aux citoyens d’un pays de s’abonner aux services mobiles d’un autre pays avec leur identité nationale notamment le Sénégal, le Togo et bientôt le Ghana.
Quel rôle pour les partenaires extérieurs dans l’élaboration et la mise en œuvre de cette stratégie digitale ? Quels sont les principaux partenaires ? Quel est le rôle de la Chine qui semble particulièrement active tant au niveau de la fourniture des équipements que du développement des infrastructures numériques ?
Nous travaillons avec deux catégories de partenariats. Ceux qui nous accompagnent dans nos orientations stratégiques avec des partenariats pour développer le savoir-faire comme l’Estonie ou le Rwanda avec lesquels le Bénin développe une approche dans la durée. Ils apportent des solutions (dont l’ e-government) que nous mettons en place avec des compagnies de technologies comme Cybernetica et eGA. L’autre catégorie concerne des partenariats à orientation business qui se mettent en place à travers des projets spécifiques inscrits dans notre cahier des charges. A ce niveau, les entreprises chinoises sont des partenaires privilégiés car ils apportent des financements (Huawei ou CITCC via China Development Bank et China EximBank par exemple) et offrent des reports de paiement de la dette intéressants. Nous avons également des partenariats avec des entreprises agréées par Microsoft et Oracle. Les études de faisabilité des projets d’infrastructure ont été souvent commandées auprès d’entreprises françaises comme Sofrecom, Tactis ou Horus. Cela nous permet de bénéficier des compétences et du savoir-faire français. Dans sa stratégie numérique, le Bénin est dans une logique de diversification des partenaires best in class avec notamment des acteurs Tunisiens comme Digitalis ou MGI BFC pour les études économiques sur des thématiques les parcours d’adoptions aux services numériques et les modèles économiques comme la PKI. Cette collaboration sud-sud s’est confirmée en 2021 par la mise en place du contrat de gestion déléguée de la Société béninoise d’infrastructures numériques avec Sonatel l’opérateur global sénégalais filiale du groupe Orange.
Comment se négocient ces contrats ? Quid du transfert de technologies et compétences dans ces contrats ?
De manière générale, la Chine est un partenaire flexible dans les négociations à condition d’avoir une équipe de négociation bien étoffée et structurée. Outre le défi mondial de la guerre des standards technologiques, on sent qu’ils veulent faire du business ce qui les amène à être moins rigides. Les entreprises chinoises ont aussi des filiales locales établies en Afrique avec qui on peut dialoguer directement. Huawei par exemple met beaucoup en avant l’aspect transfert des compétences. Ce n’est pas le cas de certaines entreprises occidentales qui sont plus rigides, viennent avec des frameworks préétablis dans lesquels on doit essayer de s’insérer. Dès que le projet atteint une certaine taille, le Bénin utilise des cabinets de contrôle occidentaux comme AMOA en amont au niveau de la définition du projet, pendant son exécution et après le projet pour l’évaluation.
Par ailleurs, l’alliance Smart Africa apporte une expertise technique, des retours d’expérience, une expertise pour des projets pilote et accompagne les pays africains pour mutualiser les ressources. L’alliance apparait plus réactive que l’Union Africaine qui est plus administrative. Le Bénin partage par exemple son expertise en matière d’identité numérique, le Kenya sur les infrastructures large bandes… Smart Africa est financée par beaucoup d’acteurs privés. Chaque pays porte un projet. Ils peuvent également aider à financer un cabinet de contrôle mais sur des projets régionaux.
Pour la conclusion des contrats, le Bénin dispose d’un code des marchés publics qui prend en compte un aspect communautaire avec exigence de la présence de consultants nationaux pour les marchés publics de prestations intellectuels. Il s’agit aussi de favoriser des groupements entre partenaires internationaux et nationaux pour réduire les dépendances. Mais cette pratique est encore à la marge et pas assez volontariste notamment pour les contrats PPP. Au niveau de l’exécution des projets, il y a une forte présence des entreprises locales afin de favoriser l’écosystème local. Les questions de la conduite du changement, de la formation et du transfert de compétences sont dorénavant systématiquement inclus dans les cahiers des charges et abordés dans les négociations au même titre que les questions financières.
Il y a beaucoup de rivalités entre puissances dans le domaine du numérique surtout entre les Etats-Unis et la Chine. Les pays africains réclament davantage de souveraineté digitale. Quelle est votre analyse ?
La posture business que j’observe au niveau du Bénin me semble pragmatique : l’ennemi de