Dr Cissé Kane : « Les TIC et télécoms sont de plus en plus dominées par le business »

(TIC Mag) – Le président de la Société civile africaine sur la société de l’information (ACSIS) partage avec les lecteurs de TIC Mag son appréciation de l’évolution des TIC en Afrique et dresse le bilan de l’implémentation de la société de l’information en Afrique. Pour lui, le marché des TIC et Télécoms en Afrique est désormais contrôlé par des multinationales qui ont pour souci premier de se faire du chiffre.

TIC Mag : Plus de quinze ans après le SMSI de Tunis, quel bilan faites-vous de la mise en place des recommandations de Tunis pour que les Etats se transforment en société de l’information via les TIC ?

Dr Cissé Kane : Dans l’ensemble les choses bougent positivement dans tous les domaines avec l’amélioration de la connectivité et de l’accès à la large bande. L’accès à la société de l’information s’améliore globalement. Les taux de pénétration du mobile sont également de plus en plus élevés, notamment dans les pays africains. Cela constitue en soi une belle opportunité pour les pays africains de pouvoir bénéficier des avantages du numérique. Pour autant que les pays africains soient bien conscients des enjeux et des défis liés au numérique, je vois plusieurs défis majeurs :

Premièrement, les TIC et le secteur des télécoms sont de plus en plus dominés par le business et le souci des multinationales de faire du chiffre. Le marché africain notamment est en train d’être complètement dominé par de très grosses multinationales qui ne laissent que des miettes à l’Afrique. Il y a aussi les coûts de connections, les coûts liés à la téléphonie qui restent encore très élevés en Afrique (y compris l’itinérance ou roaming). Le secteur rime souvent dans plusieurs pays avec la corruption.

Deuxièmement, cette domination de l’argent dans le secteur des télécommunications et des TIC en Afrique risque de faire passer au second plan plusieurs aspects sociaux liés à l’accès aux TIC pour le plus grand nombre. C’est d’ailleurs souvent le cas dans plusieurs pays où les licences se vendent à prix d’or, mais où les bénéfices vont tout d’abord dans les poches des actionnaires. Nos pays ne reçoivent que des miettes qui ne sont pas toujours réinvesties à bon escient

Troisièmement, les TIC posent aussi de nouveaux problèmes dans leur utilisation avec les questions liées à la cybersécurité, à la pollution liée aux déchets électriques et électroniques, le respect de la vie privée, le cyberespionnage, etc.

De ce point de vue, on peut se poser la question de ce que l’on fait des recommandations du SMSI.

TIC Mag : La société civile des TIC a particulièrement été active lors du dernier Forum du SMSI à Genève en Suisse. Quel bilan faites-vous de sa participation à ce forum ?

C.K : La participation de la société civile africaine des TIC au Forum du SMSI a connu un très franc succès : Nous avons organisé deux panels de très haut niveau qui ont été rehaussé par la présence de très hautes personnalités parmi lesquelles M. le Secrétaire général de l’UIT, plusieurs ministres (Afrique du Sud, Soudan, Sénégal, Guinée, etc.), des ambassadeurs africains et hauts responsables en charge des TIC. De l’avis de plusieurs observateurs, nous avons organisé les meilleurs panels lors de ce Forum. Nous sommes également très fiers d’avoir développé une très grande complicité avec les ministres africains présents à Genève que nous avons rencontrés. Nos deux panels nous ont permis de dégager des orientations très fortes sur la mise en œuvre des recommandations du SMSI en Afrique notamment sur les questions de financement, mais aussi sur la mise en relation pratique entre les TIC et les objectifs de développement durable des Nations Unies. A ce sujet, nous envisageons d’organiser dans les mois qui viennent le premier Sommet panafricain sur l’économie numérique et la croissance durable en Afrique. A ce sujet, j’ai prononcé la déclaration solennelle d’ACSIS au FORUM 2016 du SMSI. Déclaration disponible sur notre site web.

FORUM 2016 du SMSIMis à part les deux panels organisés par ACSIS, j’ai eu l’honneur de représenter la société civile africaine aux comités d’organisation du forum en tant que facilitateur de haut-niveau. A ce sujet, j’ai modéré une session de très haut niveau. J’ai également été panéliste de haut niveau sur les questions liées à la société des savoirs et des connaissances. L’ensemble des résultats de ces sessions sont disponibles sur notre site Internet.

L’Afrique à beaucoup marqué sa présence à Genève et la société civile africaine y a largement contribué. Je profite de l’occasion pour remercier l’ensemble des membres d’ACSIS pour leur mobilisation exceptionnelle à tous les niveaux qui a permis le succès de notre participation au WSIS FORUM 2016.

TIC Mag : Aujourd’hui, comment la société civile africaine peut-elle mieux s’organiser pour inciter davantage les États à mettre en place les ingrédients d’une société de la connaissance et de l’information ?

C.K : La société civile africaine excelle dans le domaine de l’expertise et des capacités intellectuelles. Elle se veut donc un partenaire stratégique de premier plan pour les Etats africains. Elle continue à jouer son rôle de veille et d’alerte sur les enjeux des TIC et pour l’accès à des TIC ouverts et inclusifs, dans le domaine de la formation et de la sensibilisation, mais aussi en tant que relai avec populations de nos contrées reculées. Nous ne sommes pas une société civile politisée ou d’opposition, nous nous voulons être des partenaires de nos gouvernants. C’est pourquoi il doit y avoir une relation de confiance mutuelle pour le développement d’initiatives profitables à nos pays et à notre continent. Le Forum du SMSI 2016 a montré une très belle image de cette confiance et de ce partenariat. Nous avons réfléchi ensemble à l’unisson sur l’avenir de l’Afrique et le rôle que les TIC peuvent y jouer. Nous comptons nous positionner davantage sur cette lancée dans tous les pays africains et vis-à-vis de nos gouvernants. Cela est d’une impérieuse nécessité. Nous tenons à remercier nos leaders pour cette relation de confiance. Nous leur lançons un appel pour qu’ils soutiennent davantage les actions de la Société civile des TIC qui sont d’une très grande utilité pour les peuples africains.

TIC Mag : Quels sont d’après vous les grandes problématiques qui ont retenu l’attention des participants du forum du SMSI ?

C.K : Mis à part les questions liées à la relation entre les TIC et les ODD qui étaient le thème central de ce forum, nous avons passé en revue les grandes questions que sont l’accès, les infrastructures, les outils mobiles et leur apport, la mise en œuvre des lignes d’actions. Plusieurs problématiques importantes ont été soulevées comme la cybersécurité, la gouvernance de l’Internet, les droits économiques et sociaux, les multiples applications des TIC, notamment en relation avec la création d’emplois, l’agriculture, etc.

Les TIC sont souvent aux mains de multinationales qui se préoccupent d’abord de leurs intérêts. Le conseil que je donne aux ministres africains c’est de renforcer une vision panafricaine et de faire en sorte que l’Afrique soit comme l’Europe ou les USA avec une vision, un leadership fort pour faire face aux enjeux du numérique.<span class="su-quote-cite"><a href="http://www.digitalbusiness.africa/tic-un-sommet-panafricain-sur-leconomie-numerique-en-vue/" target="_blank">Dr Cissé KANE</a></span>

TIC Mag : Quel serait votre conseil principal aux ministres africains en charge des TIC pour qu’ils puissent véritablement développer les TIC et en faire l’instrument primordial de l’accélération de la croissance ?

C.K : Tout le monde est maintenant d’accord que les TIC peuvent être un levier important pour le développement de l’Afrique. Lors du Forum du SMSI 2016, nous avons découvert avec beaucoup d’intérêt les initiatives ambitieuses des Etats africains. Les tâches sont immenses dans certains pays et il y a des urgences dans les domaines de la santé, de l’éducation, en matière de création d’emploi et de formation. Les TIC sont donc le « capacitateur » et le catalyseur par excellence de tous ces aspects. Mais les TIC sont souvent aux mains de multinationales qui se préoccupent d’abord de leurs intérêts. Le conseil que je donne aux ministres africains c’est de renforcer une vision panafricaine et de faire en sorte que l’Afrique soit comme l’Europe ou les USA avec une vision, un leadership fort pour faire face aux enjeux du numérique qui sont dominés par le business. Il faudrait que l’Afrique se dote d’un arsenal juridique pour se protéger, pour bénéficier des retombées du numérique, s’assurer d’avoir le contrôle de la situation face aux multinationales. Les ministres africains des TIC peuvent aider nos gouvernements et leurs dirigeants à dégager un leadership africain fort face aux enjeux colossaux du numérique

TIC Mag : ACSIS a mis en place en juin dernier une coopération avec l’Union européenne. Que faut-il attendre d’une telle coopération ?

C.K : ACSIS a lancé le 08 juin dernier une coopération avec GIPO (Global Internet Policy Observatory) avec le soutien de la Commission européenne pour développer l’observatoire global sur l’Internet dans le monde. Cet observatoire dispose désormais d’une fenêtre africaine portée par ACSIS. Dans le cadre de cette coopération, une fenêtre de GIPO est ouverte en permanence sur le site Internet d’ACSIS en vue d’informer sur l’Internet et ses politiques dans le continent africain.

Cette fenêtre interactive permet aux internautes de s’informer et de faire des recherches sur toute l’actualité de l’Internet en Afrique. Elle sera alimentée au fur et à mesure par le recensement de l’information existante, mais aussi par des actions de collecte d’information au niveau des pays africains. Grâce à un formulaire interactif, GIPO Afrique, vous permet de faire des recherches sur des domaines divers relatifs à l’Internet en Afrique !

Cette coopération ACSIS-GIPO a été lancée à Bruxelles le 08 juin 2016 dans le cadre d’une conférence sur le thème « Co-designing GIPO´s Observatory Tool – Bringing together IG communities » en marge de la conférence européenne sur la gouvernance de l’Internet EURODIG 2016. La conférence a été précédée d’une table ronde sur : « contribution of the Global Internet Policy Observatory to « multistakeholderism » in Internet governance » le 08 juin 2016 à laquelle j’ai également pris part.
N’hésitez pas à nous communiquer vos actions et événements via le formulaire de contact d’ACSIS pour que nous puissions les publier sur GIPO Afrique.

Propos recueillis par Beaugas-Orain DJOYUM

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