[Digital Business Africa] – Le documentaire diffusé le 19 février 2019 par France 5 sur les déchets électroniques intitulé « Déchets électroniques, le grand détournement » continue de susciter des réactions.
Ce documentaire réalisé par Coraline Salvoch et Alain Pirot montre le circuit des déchets électroniques, une fois jetés à la poubelle ou abandonnés sur le trottoir en Europe. Pour les auteurs de cette enquête, « des organisations mafieuses » se font du beurre sur ces déchets électroniques qui, très souvent achèvent leurs courses dans des décharges illégales et non conformes en Afrique. A Accra, au Ghana, le documentaire montre des ouvriers qui démontent ces téléviseurs, ordinateurs et frigos venus d’Europe, malgré les fumées toxiques et les substances chimiques. Un trafic qui détruit la planète en toute impunité, soutient le documentaire.
Parmi les réactions à ce documentaire, celle de David Rochat, CEO and Partners chez SOFIES. Sur son profil LinkedIn, il reconnaît qu’il existe un commerce très important d’appareils d’occasion de l’Europe vers l’Afrique, mais que l’insinuation de la présence d’une mafia derrière ce trafic est exagérée. Pour lui, l’exportation d’appareils d’occasion de l’Europe vers l’Afrique répond à une réelle demande pour des raisons économiques et sociales, alimentée en grande partie par un réseau tout à fait légal (lorsque les appareils ne sont pas volés par effraction dans les déchetteries), et que le problème bien réel du recyclage informel des DEEE dans les pays en développement ne résulte pas d’une gigantesque manipulation mafieuse comme le laisse entendre le documentaire.
La problématique du recyclage informel des DEEE en Afrique est la conséquence de deux manquements peu abordés dans le documentaire, soutient David Rochat : Premièrement, le manque de de mécanismes de contrôle efficace de la qualité des appareils exportés vers les pays en développement, « résultant dans une part importante de ces appareils finissant rapidement à l’état de déchets » et deuxièmement de l’absence de filières organisées pour la gestion des DEEE de manière appropriée dans ces pays, « de sorte que le problème resterait entier quand bien même seuls des appareils neufs ou de qualité étaient vendus sur leurs marchés ».
L’enquête de BAN
Au-delà de ce documentaire de France 5, une autre enquête tout aussi intéressante sur le sujet avait été publiée par l’ONG Basel Action Network (BAN) le 07 février 2018. Dans cette enquête baptisée Holes in the Circular Economy: WEEE Leakage from Europe, des volontaires de l’ONG ont déposé 314 ordinateurs, écrans plats, et imprimantes équipés d’un tracker GPS dans des points de collectes agréés dans 10 pays européens.
Résultat, 19 équipements (6 %) sont sortis illégalement du pays où ils auraient dû être retraités. Illégalement au regard du droit européen, « car le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Irlande, la Pologne et l’Espagne n’ont pas traduit en droit national l’interdiction d’exporter des déchets électroniques », indique l’enquête. BAN estime que l’Europe exporte illégalement 352 474 tonnes de déchets électroniques par an, soit l’équivalent, de 2,5 milliards de smartphones !
Aussi, Onze déchets exportés illégalement sur 19, soit 64 %, ont fini dans un pays en voie de développement. Avec l’Afrique comme destination de choix. Les exutoires sont le Nigeria (5 équipements), le Ghana (1), la Tanzanie (1), mais aussi l’Ukraine, le Pakistan, la Thaïlande et Hong Kong. Chaque déchet a parcouru en moyenne 4 127 kilomètres pour un total de 78,408 kilomètres, soit presque deux tours du monde.

Les exportations des déchets électroniques par pays. Source : BAN. Holes in the Circular Economy: WEEE Leakage from Europe.
Les 10 résultats clés de l’enquête
1. Sur les 314 unités d’équipement traquées et déployées dans le cadre de l’étude, 19 (6 %) ont été exportées hors des pays à partir desquels elles ont été déployées.
2. Le pays de l’UE qui exporte le plus de déchets électroniques est le Royaume-Uni (tous vers les pays en développement) avec cinq unités, suivi du Danemark et de l’Irlande avec trois unités chacunes.
3. Sur les 19 unités exportées trouvées dans cette étude, plus de la moitié (11 sur 19, soit 61 %) sont allées aux pays en développement. Ces exportations étaient très probablement illégales.
4. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Irlande, la Pologne et l’Espagne ont tous autorisé ces exportations de déchets électroniques vers les pays en développement qui sont susceptibles d’être illégales. Le Royaume-Uni a été le contrevenant apparent le plus flagrant avec cinq exportations illégales. Soit, trois vers le Nigeria, une vers la Tanzanie et une vers le Pakistan.

Les pays africains qui reçoivent plus de déchets électroniques. Source : BAN. Holes in the Circular Economy: WEEE Leakage from Europe.