Crise du marché des télécommunications : Parler avec les OVNO ou disparaître

SITUATION CLASSIQUE. Le marché des télécommunications (devenues Communications Electroniques) était depuis la libéralisation du secteur jusqu’il y a quelques années, essentiellement caractérisé par ce qui suit :

  • Des opérateurs concurrents à l’intérieurs du pays, mais interconnectés pour permettre aux clients des uns de pouvoir communiquer avec ceux des autres ;
  • Des produits grand-publics simples : la voix et la messagerie SMS ;
  • Des offres d’accès à l’Internet soit par l’ADSL soit par les terminaux mobiles, avec parfois des possibilités de voix sur IP anecdotiques à cause d’une qualité de service très pauvre ;
  • Des clients de ces offres exclusivement liés aux opérateurs nationaux.

SITUATION ACTUELLE. Les débits offerts par les évolutions des réseaux mobiles, notamment la 3G et la 4G, ont offert de nouvelles possibilités aux consommateurs pour l’usage des terminaux mobiles, non seulement pour naviguer sur l’internet, mais aussi pour fréquenter de plus en plus les réseaux sociaux qui sont des communautés importantes échangeant des informations sur tout ce qui se passe autour d’eux. C’était à l’origine surtout des écrits et des images.

Jusque-là, les applications offertes par les grands éditeurs de contenus que sont Google, Microsoft, Facebook et d’autres ne remettaient pas en question les bases de la régulation du marché des télécommunications car :

  • Naviguer sur Google ne se substitue à aucune offre d’un opérateur national et rend un très grand service à presque tout le monde ;
  • La messagerie au sein d’un réseau social pouvait certes se substituer au SMS, mais ne concernait pas la même clientèle.

En résumé, comparant ces applications à celles, offertes par les opérateurs nationaux et soumises à la régulation, l’offre n’était pas substituable et la demande non plus. Cela veut dire que ces offres, dites OTT, n’étaient pas concernées par la Régulation des marché nationaux car étant hors du cadre des marchés pertinents.

Depuis que le MPLS (MultiProtocole Label Switching ) a été associé à l’IP (Internet Protocole ) pour recréer au cœur des réseaux des conditions de qualité comparables à celles offertes par la commutation de circuits, certains éditeurs de contenus ont franchi le pas et mis en place de véritables réseaux, avec des nœuds de commutation, pour permettre à leurs clients de s’écrire, se parler et se voir dans de très bonnes conditions techniques. Les nœuds ainsi construits s’intègrent au réseau Internet par le premier point d’accès disponible. A partir de ce moment, ces importants acteurs ont cessé d’être seulement des éditeurs de contenus pour devenir aussi de véritables acteurs du réseau mondial de communication électronique.

Les OVNO (Offshore Virtual Network Operators)

Mais, ils ne disposent pas d’un réseau d’accès. C’est donc via l’Internet qu’ils accèdent aux réseaux des opérateurs nationaux et à travers eux, aux clients de ces derniers qui ainsi deviennent aussi potentiellement leurs clients.

Vu de tout pays dans lequel ils n’ont pas une présence formelle, ce sont des opérateurs extraterritoriaux de réseaux virtuels : des OVNO (Offshore Virtual Network Operators).

Au même titre que les MVNO (Mobile Virtual Network Operators), les OVNO, s’appuient sur les réseaux des opérateurs nationaux, leurs clients y génèrent des besoins en investissement car toutes les applications disponibles y partagent au moins les infrastructures de transmission, en particulier la bande passante internationale dont le coût explose littéralement surtout dans les pays ne disposant pas de « Caches » de prestataires tels que FACEBOOK, GOOGLE et MICROSOFT.

Dans la partie DATA des réseaux, là où IP et TDM (Time Division Multiplexing) coexistent encore, les applications des OVNO et celles de l’opérateur réel partagent aussi l’ensemble des nœuds (SGSN, GGSN, SGW, PGW, routeurs centraux, routeurs d’extrémité, etc…), mais aussi le segment Accès du réseau.

DIFFICULTES AUXQUELLES FONT FACE LES REGULATEURS

Les OVNO ont mis en place un modèle d’affaires astucieux : ils demandent à leurs clients nationaux de payer, mais pas en espèce : ils payent, en nature en acceptant formellement de céder leurs données personnelles qui sont collectées au fur et à mesure qu’ils utilisent les réseaux. Celles-ci sont soumises à des puissances de calcul phénoménales qui les analysent, font des recoupements et s’emparent ainsi de l’intimité de chaque client.

Ce sont ces données à caractère personnel que les OVNO revendent, en espèces sonnantes et trébuchantes, auprès des annonceurs publicitaires en premier lieu, mais aussi auprès de toute institution pouvant en avoir besoin et prête à en payer le prix. Mais, pour le Régulateur, les applications sont utilisées « gratuitement ».

Tous les opérateurs de réseaux virtuels (VNO) qui agissent dans leur pays ont passé un accord avec au moins un opérateur réel de ce pays, lui achètent des services à un prix de gros et revendent ces derniers à leurs clients. L’opérateur réel ne détermine pas le prix de gros par hasard : il évalue la façon dont les services du VNO vont impacter leurs besoins en investissement entre autres et tiennent compte de tous ces coûts au moment de la négociation.

Avec les OVNO, il n’y a, pour le moment, personne avec qui discuter, et très souvent l’opérateur réel n’a qu’une idée très vague de l’impact sur ses besoins en investissement des applications IP (Skype, Viber, WhatsApp, etc.), qui eux font partie du marché pertinent. En mettant en avant sa profonde conviction et sa sincérité il tente alors de les restreindre, voire de les bloquer, et tout le monde désapprouve. Mais pendant ce temps, les mécanismes de substitution opèrent : puisqu’il est possible pour un citoyen qui n’est pas riche, d’emprunter le portable de son cousin pour appeler « gratuitement » n’importe où dans le monde, pourquoi veut-on qu’il paye pour le même service ?

Pour survivre, ne sachant pas comment faire avec les offres des OVNO, les opérateurs réels se lancent dans des offres forfaitaires et la guerre des prix fait rage : il faut avoir le forfait le moins cher pour survire.

Alors les recettes de l’opérateur réel baissent sans arrêt, au point que celui-ci n’est plus en mesure d’investir, voire de payer ses employés (Il y a peu, le principal opérateur australien TELSTRA licenciait 8000 personnes).

La qualité de son service se dégrade fortement aux heures chargées (souvent en début de soirée). Le Régulateur, dont c’est le rôle, lui inflige une mise en demeure, puis une amende retentissante.

Le Régulateur est malgré tout sommé de trouver une solution, mais en vertu du « principe de justice » il sait qu’il ne peut ni ne doit faire supporter aux abonnés du téléphone tout le poids des applications concurrentes de l’Internet.

Parmi les Régulateurs qui ont compris le mécanisme, certains ont eu le courage, souvent face à une désapprobation générale, de prendre des mesures pour éviter la banqueroute de leurs opérateurs réels. Ce sont souvent des mesures de portée nationale qui se traduisent toujours par un effort supplémentaire demandé aux citoyens consommateurs déjà épuisés par les autres besoins de leur quotidien.

Par Papa Gorgui TOURE*


*Papa Gorgui TOURE est le Directeur Général de Tactikom. Il a développé le simulateur COST-EC qui est un progiciel expert capable de reproduire toutes les fonctions d’un ou plusieurs réseaux d’opérateur dans l’optique d’auditer le coût de revient de tout service offert sur toute application.

A la base ingénieur en électronique et électronique appliquée, avec une spécialisation en Télécommunication et informatique, Papa Gorgui TOURE a une expérience de terrain de plus de 25 ans. Il a mis son expérience au service du développement du réseau de télécommunications du Sénégal (successivement: Sous-directeur des centraux de commutation et des réseaux télématiques, chef du Département de l’Ingénierie, Directeur des Affaires Internationales et Directeur commercial, Directeur des Etudes et du Développement) suivis de sept ans en tant que fonctionnaire international à l’Union Internationale des Télécommunications (Genève) essentiellement en tant que Chef du Département des Politiques, des Stratégies et du Financement.

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