Cameroun : Infrastructure de clé publique, pourquoi ça coince ?

Depuis bientôt vingt ans, l’infrastructure de clé publique (PKI) traîne la patte.

Il y a une quinzaine d’années, un opérateur économique convia le public dans un grand hôtel de la ville, à la présentation d’une technologie révolutionnaire, la signature électronique ; Bien sûr, ce promoteur pensait investir dans un secteur innovant et évidemment rentable, mais patatras, l’expérience fit long feu.

Une dizaine d’années plus tard, nous avons appris par les médias qu’un séminaire sur la certification électronique à l’intention des hauts responsables de l’administration s’était tenu à Yaoundé.

Dans la même mouvance, une loi sur la communication électronique était promulguée, de même sur la cyber sécurité, et des décrets étaient pris sur la certification électronique et le commerce électronique.

Malgré tous ces événements, le secteur tarde à bouger, même si à notre grande inquiétude, nous apprenons que des projets dans les secteurs stratégiques comme les impôts ou les marchés publics avec un module important voire déterminant de certification électronique, sont lancés.

La raison de ce sur place est simple : l’infrastructure de clé publique, Public Key  Infrastructure pour les puristes, est une révolution ; Il s’agit d’un passage de témoin, de l’Etat au secteur privé. L’Etat qui aujourd’hui certifie les documents doit céder ce pouvoir à la société civile, au secteur privé.

Concrètement, les Maires, Sous-préfets, Préfets, Gouverneurs et autres commissaires de police, doivent céder leurs pouvoirs de certification au secteur privé. Evidemment pour celui qui connaît un tant soit peu notre société, cette cession n’est pas et ne sera pas une ballade de santé. La bagarre avec les représentants du pouvoir exécutif, parce qu’il y aura de la résistance, s’annonce corsée et ce n’est  pas demain la veille.

En dehors de la cession qui s’annonce orageuse des prérogatives de  l’Etat au secteur privé, les choses ne sont pas bien claires : La certification électronique s’applique sur les documents électroniques, mais c’est quoi un document électronique ? Là, motus et bouche cousue, aucun texte ne définit le document électronique, le seul fait de penser que ma carte d’identité nationale est un document numérique, est pour moi sujet à une grande préoccupation. Un arsenal juridique doit encadrer les activités de numérisation. Les textes en vigueur au Cameroun aujourd’hui, offrent un encadrement insuffisant.

Dans le même ordre d’idée, l’infrastructure de clé publique a deux composantes : la composante technique, les logiciels de cryptographie, et la composante organisationnelle, les  tiers- confiances.

Pour le contexte camerounais, la composante organisationnelle est celle qui pose vraiment problème  en raison de sa dimension sociale.

Question simple : Chez nous, un sujet A peut-il facilement faire confiance à un sujet B ? Dans le cas d’espèce, deux sujets A et B peuvent-ils faire confiance à un sujet C ? Les réponses à ces questions dans notre environnement coulent de source.

Dans notre milieu où les dysfonctionnements tendent à être la règle générale, comment instituer la confiance ? Dans les récentes affaires de cybercriminalité, il est apparu que les veilleurs de nuit, ces messieurs qui ont des salaires inférieurs à cinquante mille francs CFA, font partie du périmètre de confiance de sécurisation des guichets de retrait automatique, ce qui est un risque important.

Le logiciel de cryptographie peut être hyper performant mais son déploiement dans un milieu social conditionne ses performances. La question demeure, comment faire confiance à un tiers dans un milieu où la confiance n’est pas la chose la mieux partagée ?

Nous sommes toujours surpris de constater que les acteurs de la certification électronique au Cameroun, aient foncé tête basse sur les logiciels de cryptographie que l’on se procure facilement ; Même mes étudiants les développent comme travail pratique. Le problème à résoudre est celui de la confiance car, comme le disent souvent ces acteurs,  l’adage, ce qui a marché ailleurs va marcher chez nous, pour une fois n’est pas vrai. Malgré tous les logiciels, les experts et autres gros projets, rien ne bouge. Diagnostic, la confiance est le ventre mou de l’infrastructure de clé publique au Cameroun. Comment instaurer la confiance dans l’infrastructure de clé publique au Cameroun ?

Voilà tout un programme dans lequel devront s’investir les acteurs de la certification numérique au Cameroun.

Sous nos cieux, la certification numérique n’est plus seulement l’affaire des ingénieurs des TIC ; La maîtrise de ce secteur passe par l’analyse et la scénarisation des pratiques professionnelles dans tous les secteurs de la vie de la Nation. Pour ces missions, de nouveaux professionnels sont nécessaires ; Il s’agit de macro-développeurs capables de formaliser les domaines dans lesquels ils ont une expertise avérée. Tous les secteurs d’activités doivent être formalisés dans la recherche de la solution de confiance, de même devront être soigneusement analysés les différents scénarios de transfert  des prérogatives de l’Etat au secteur privé en matière de certification de document.

Avant ces préalables, s’aventurer dans le secteur de la certification électronique au Cameroun risque d’être un exercice périlleux aux conséquences inattendues.

Par  Hermann NJIPGANG, Expert consultant en systèmes d’information documentaire

Publiez vous aussi votre analyse sur TIC Mag
Vous aussi, vous pouvez publier votre chronique ou une tribune libre relative au secteur des TIC et des Télécoms sur TIC Mag ! Envoyez simplement votre texte à [email protected] ou à [email protected]. Illustrez votre texte avec votre belle photo d’une bonne résolution (1000 pixels en largeur) que vous envoyez aux mêmes adresses.

 

LAISSER UNE RÉPONSE

SVP, entrez votre commentaire!
Veuillez saisir votre nom ici

spot_img

Plus d'infos

Cameroun : Le ministère de la Comm’ et le...

Cameroun : Le ministère de la Comm’ et le CNC vent debout contre  les Fake news et...

« Le réveil des internautes » de Japhet Djetabe,...

« Le réveil des internautes » de Japhet Djetabe, une invite à la citoyenneté sur internet 

Les 10 propositions des acteurs camerounais du numérique pour...

- Un collectif d'acteurs du secteur du numérique au Cameroun a publié ce 27 mars 2024...

Sur votre mobile

Si vous avez aimé ce texte, vous aimerez bien bien d'autres. rejoignez notre canal Telegram et notre chaîne WhatsApp pour ne rien manquer de nos infos stratégiques et de nos exclusivités.

Chaine WhatsApp de Digital Business Africa