A Yaoundé, Me René Bourgoin explique que pour les contenus signalés, il a été convenu avec Meta qu’ils doivent être supprimés « sans retard indu »

[DIGITAL Business Africa] – Me René Bourgoin, le président de la Haute autorité de la communication audiovisuelle de Côte d’Ivoire et Vice-président du Réseau des instances africaines de régulation de la communication (RIARC) était présent à Yaoundé au Cameroun du 08 au 09 novembre 2023.

Il participait Forum International sur la régulation des réseaux sociaux qui s’est tenu à l’hôtel Hilton de Yaoundé, sous le thème « La problématique de la régulation des réseaux sociaux : les modalités d’une collaboration entre les régulateurs africains des médias et les plateformes numériques ».

Ce forum s’est inscrit dans le cadre du plan d’action du Réseau des instances africaines de régulation de la communication (RIARC) et a connu la participation des représentants de nombreuses instances africaines de régulation des médias et des plateformes numériques.

Lors de la session sur le partage d’expériences, Me René Bourgoin a dressé un tableau des actions et démarches entreprises jusqu’ici à la fois sur le plan national que sur le plan sous-régional sur les défis et stratégies de la régulation des réseaux sociaux en Côte d’Ivoire et en Afrique. Digital Business Africa vous propose quelques extraits de sa présentation :

Au 30 juin 2023, le taux de pénétration de l’Internet mobile en Côte d’Ivoire est de 89,8%

« Selon l’Autorité de régulation des télécommunications de la Côte d’Ivoire, le taux de pénétration de l’Internet fixe au 30 juin 2023 est de 5,7% de la population. En revanche, le taux de pénétration de l’Internet mobile est de 89,8%.

D’autres part, selon les données de Digital Discovery publiées en 2023 sur les chiffres sur les réseaux sociaux en Côte d’Ivoire, le nombre d’utilisateurs des médias sociaux est de 5,10 millions, soit 17,9 % de la population nationale. Ce qui est très remarquable…

Je voudrai ajouter que la charte des réseaux sociaux est bien différente de celle des médias. En Côte d’Ivoire nous avons une charte des réseaux sociaux qui permet de pacifier l’environnement numérique. Il s’agit des acteurs du net qui se donnent des engagements dans cette charte-là. Le non respect de ces engagements expose à des sanctions disciplinaires. Ce sont des engagements qu’ils ont pris à l’initiative des régulateurs.

« Avec 25 000 abonnés sur les réseaux sociaux, vos posts ne sont plus privés »

Il est bon de préciser que l’objectif de la HACA en Côte d’Ivoire n’est pas à proprement parler de réguler les réseaux sociaux. En réalité, aucune institution de régulation ne peut prétendre réguler les réseaux sociaux. Il s’agit pour nous régulateurs de réguler les contenus publiés via ces réseaux sociaux.

Pour y parvenir, nous avons jugé nécessaire de faire adapter le cadre juridique de la communication audiovisuelle à l’environnement numérique en faisant prendre en compte la régulation des contenus audiovisuels diffusés via internet et autres médias multimédia.

C’est ainsi qu’a intervenu la loi du 20 décembre 2022 qui modifiait celle de 2017 sur le régime juridique de la communication audiovisuelle en Côte d’Ivoire…Cette loi me parait importante pour une simple raison : Elle résultait d’une question que j’estime essentielle. Il y des personnes qui écrivent sur le Net ce qu’elles veulent : appels à la haine, propos haineux, appels à la violence et qui disposent de 15 000 à 300 000 abonnés. Puis, on nous dit que ce n’est pas la communication. Nous avons estimé en Côte d’Ivoire qu’il fallait adapter ce cadre. Le problème qui se posait concernait le nombre de personnes qu’on allait prendre en compte.

A l’initiative du gouvernement qui lui-même s’est appuyé sur la HACA, le parlement et le Sénat, ont pris une disposition simple qui stipule que la diffusion des contenus audiovisuels de toutes plateformes de blogueurs, activistes ou influenceurs, disposant de 25 000 abonnés en ligne n’a pas de caractère de correspondance privé.

Elle est en conséquence soumise au respect des principes généraux de la communication audiovisuelle tel qu’énoncé à l’article 3 de la loi régissant les principes juridiques de la communication audiovisuelle (…)

Je précise bien que les internautes disposant de plus de 25 000 followers ne sont pas considérés comme des médias. C’est ce qu’ils publient ou proposent qui sont soumis aux dispositions et aux principes généraux de la communication audiovisuelle qui sont commun à tous les pays. Ces contenus sont soumis aux principes juridiques de la communication audiovisuelle.

De nombreuses rencontres avec les plateformes numériques

A la suite de la rencontre de Fès qui a initié cette plateforme de dialogue entre les grandes plateformes numériques et les régulateurs, il y a eu le colloque international d’Abidjan qui avait pour thème : « Quelle approche commune des régulateurs africains de l’audiovisuel des pays membres de l’UEMOA et de la Guinée face aux plateformes numériques ? » Nous avons débattu. C’était une belle réunion. Il s’agissait d’esquisser, de préparer un avant-projet de règlement communautaire qui pourrait même s’adapter au niveau africain. La préparation de ce règlement communautaire est en cours.

Mandaté par l’ensemble de nos pairs, nous avons dialogué avec quelques-unes de ces plateformes numériques. Il y a eu trois rencontres au total. Une en visioconférence le 10 juillet 2023 avec Meta pour échanger sur les dispositions de notre loi (…) Ensuite, il y a eu une rencontre avec Google le 12 juillet 2023, cette fois-ci à Nairobi au Kenya. Nous nous sommes déplacés pour y être. Ce fût une belle rencontre.

La troisième rencontre avec Méta a eu lieu les 16 et 17 août 2023 à Dubaï. Elle a porté notamment sur les politiques publiques, la libération et la réglementation des contenus ainsi que sur les différentes compositions faites par Méta relativement avec ce que j’ai dit tout à l’heure. Toutes ces échanges ont permis d’esquisser, je dis bien esquisser un cadre de collaboration entre nous régulateurs et certains comme lui (Méta).

Il s’est agi principalement de parvenir à limiter certaines mesures consacrées sur les réseaux sociaux afin de protéger d’une part les mineurs contre des susceptibles à détruire l’environnement physique, mental et moral et d’autres de protéger des contenus contre l’incitation à la haine, à la discrimination ethnique, sociale et religieuse à la xénophobie ou à la provocation publique à commettre ces infractions.

Le délai de retrait d’un contenu problématique

Cette collaboration se traduit comme suit : En lieu et place du régime d’autorisation des plateformes des réseaux sociaux prévu par la loi dont je faisais état tout à l’heure, il a été convenu d’un régime déclaratif où ces plateformes nous soumettrai à nous régulateurs les coordonnées des personnes ressources qui serviraient d’interlocuteur pour faciliter la collaboration. Nous avons dans notre loi prévu un régime d’autorisation pour que toutes les plateformes se fassent autorisées par le régulateur de nos pays. A la vérité, c’est un peu compliqué de demander un système d’autorisation.

Un système déclaratif répondrait à nos besoins. Ce qu’on veut dans un système d’autorisation, il faut qu’on sache de qui il s’agit, la raison sociale, la localisation, la boîte postale, etc. (…)

Pour signaler les contenus audiovisuels matériel et ou immatériel, il a été convenu de mettre en place un canal direct de signalement qui sera accessible aux régulateurs. Cela facilitera le signalement des contenus problématiques. Ce qui va contribuera à une réponse plus rapide et plus efficace. Nous avons demandé ce canal.

Maintenant, si c’est traité, c’est traité dans quel délai ? Cela ne sert à rien que ce contenu disparaisse dans une semaine, car cela aura eu le temps de tourner, d’être republié et repartagé. Ce sera devenu viral.  Ceci pour éviter de longues attentes sur la suppression des contenus signalés avant qu’il devienne viral. Nous avons prévu un délai de 48 heures maximum.

Ils ont souhaité qu’il n’y ait pas de délai fixe dans notre réglementation, parce que cela peut souvent être difficile à tenir. Nous avons suggéré qu’il y ait un délai qui oblige à faire cela.  Et de discussions en discussions, nous sommes arrivés à l’expression « SANS RETARD INDU ». (…) C’est un peu plus précis. Le décret d’application que les plateformes doivent reprendre c’est « sans retard indu ».

Une redevance annuelle

Nous avons également prévu des redevances annuelles. C’est important. Ce sont des plateformes qui se font de l’argent. Même si toutes ne font pas l’argent. Pour la redevance, les plateformes ont souhaité que nous explorions la possibilité de percevoir des taxes sur la publicité diffusée sur les vidéos en ligne ou encore d’envisager une taxe contributive au développement de la communication audiovisuelle.

Ce sont des idées intéressantes qu’on peut explorer. Le régulateur d’un pays peut le prendre pour le développement d’un pays ou de son système de régulation. Cette approche pourrait offrir une alternative plus viable et générer des revenus.

L’alphabétisation numérique

En outre, avec les plateformes numériques (Méta et Google), nous avons convenu d’envisager deux ou trois initiatives. La première c’est l’alphabétisation numérique dans les établissements. C’est un sujet intéressant dont on peut faire une collaboration entre nous régulateurs, ces plateformes numériques et les ministères respectifs de l’éducation nationale.

Cela offrirait la possibilité d’éduquer les jeunes sur l’alphabétisation numérique et l’utilisation responsable d’internet dans les modules de formation au sein des écoles. Cette initiative vise à préparer les jeunes générations à naviguer en toute sécurité dans l’environnement numérique.

Nous avons initié aussi la formation des journalistes. Il s’agit de mettre en place une collaboration qui pourra contribuer à améliorer la qualité du journalisme et à promouvoir les pratiques responsables de l’utilisation de certains médias. Mais ces plateformes sont décidées à nous aider sur ce sujet-là. »

Au terme sa présentation en session, Digital Business Africa a rencontré Me René Bourgoin afin d’avoir plus de précisions sur ses explications en salle. Entretien.

DIGITAL Business Africa : Comment peut-on résumer les propositions entendues entre les des régulateurs et celles des réseaux sociaux au cours du Forum International CNC-RIARC 2023 ?

Me René Bourgoin : C’est vrai que les plateformes numériques ont des standards communautaires. C’est une charte communautaire qui prévoit des engagements pris par ces plateformes numériques à l’égard de tous leurs utilisateurs. Et ce sont des engagements que les utilisateurs prennent vis-à-vis de la communauté membre de ces plateformes-là. Ces standards communautaires sont très contraignants et sont souvent en déphasage avec ce que le régulateur exige.

Par rapport au contenu, le régulateur peut décider qu’un contenu est inapproprié et malveillant. Mais, les standards communautaires de cette plateforme peuvent avoir d’autres interprétations de ces éléments-là. En pareille circonstance, ce qu’il faut faire c’est de savoir si c’est la position du régulateur qui prime ou si ce sont des standards des plateformes qui priment. Nous avons décidé d’entrer en discussion avec ces plateformes et de nous mettre d’accord sur un minimum.

Le minimum consiste à considérer ce que le régulateur d’un pays dit est ce qui doit prévaloir. Étant entendu que le régulateur est indépendant et qu’une instance de régulation est composée de membres dotés de sagesse et qui apprécient mieux les valeurs sociales culturels du pays que nul ne le ferait, les algorithmes qui sont le lot de ces plateformes numériques peuvent ne pas considérer des choses scandaleuses comme au niveau d’un État. Et c’est pour cela qu’il faut aller dans le sens d’une coopération. Mais, une coopération qui exigera la prise en compte de nos valeurs sociales et culturelles africaines.

DIGITAL Business Africa : Quelles sont les difficultés à réguler les réseaux sociaux en Afrique ?

Me René Bourgoin : Les difficultés à réguler les réseaux sociaux sont nombreuses. D’abord, les réseaux sociaux sont les faits des plateformes numériques et ces plateformes numériques sont des plateformes internationales. Ce sont des grandes plateformes. Si nous régulateur nous disons que tel contenu doit être supprimé et que la plateforme ne prend pas en compte cette décision, nous n’avons aucun moyen de contraindre la plateforme d’exécuter cette décision.

C’est vrai que le moyen qui existerait serait de couper l’accès à internet à cette plateforme-là. Mais, cela supposera que nous allons interrompre la diffusion et l’exploitation de cette plateforme dans notre pays. Ce qui va générer d’autres conséquences notamment politiques. Voilà pourquoi c’est difficile. On ne peut réguler les réseaux sociaux qu’en coopération et qu’en collaboration avec les grandes plateformes numériques.

DIGITAL Business Africa : Comment la HACA Côte d’Ivoire se mobilise-t-elle pour réguler les plateformes numériques ? 

Me René Bourgoin : Nous avons engagé des démarches préalables au niveau de la Côte d’Ivoire. Nous avons entrepris de dialoguer directement avec des grandes entreprises des médias sociaux pour échanger sur les dispositions de notre loi. Il a été convenu d’un régime déclaratif et non pas d’autorisation pour ces plateformes afin de nous fournir (à nous régulateur) des cordonnées des personnes ressources des infractions.

Pour le signalement des contenus audiovisuels, il a été convenu de mettre en place un canal direct de signalement pour nous régulateur qui sera accessible.

DIGITAL Business Africa : La régulation des plateformes numériques ne limite-t-elle pas dans une certaine mesure les libertés d’expression sur ces dernières ?

Me René Bourgoin : Absolument pas. Pour une raison très simple : la régulation ne peut pas limiter la liberté d’expression. Parce que le régulateur est le garant de la liberté de la communication. Nous devons garantir la liberté de la communication. Nous ne pouvons pas garantir une liberté et puis la compromettre encore.

Il ne faut pas oublier que la liberté de la communication a ses propres limites qui sont prévues par la loi. Le régulateur intervient lorsque les limites de cette liberté sont franchies. Il dira alors arrêtez-vous avez franchi les limites de la communication sur la liberté d’expression.

Propos recueillis par Albert Amougou

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