Le Pnud Cameroun accusé de favoritisme dans le choix du français Bond’Innov, au détriment des organisations locales qui s’en plaignent

[Digital Business Africa] – Presque toujours sollicitées en second plan, même pour les tâches minimes dont elles ont l’expertise certifiée, des entreprises, PME et organisations  camerounaises s’indignent régulièrement de ce que les organisations internationales présentes au Cameroun orientent généralement leurs choix vers les sociétés et organisations étrangères quand il faut réaliser des projets au Cameroun. Ceci dans le cadre des appels d’offres nationaux et internationaux où l’expertise camerounaise est parfois avérée et d’excellente qualité.

Cas pratique avec le choix de la structure française Bond’Innov par le Pnud Cameroun pour une activité menée au Cameroun où les compétences et l’expertise locales dans cette activité ne manquent pas.  

Du 25 au 28 juin 2020 s’est déroulé au Cameroun le Hackathon virtuel «Cameroon Vs Covid 19 ». Cet événement initié par la branche camerounaise du  Programme des nations unies pour le développement (PNUD) visait à mettre en évidence les compétences et innovations développées par des jeunes camerounais permettant de surmonter les problématiques liées à la pandémie du Coronavirus (Covid-19) au Cameroun.

Pour l’organisation de cet événement, le PNUD Cameroun a lancé un appel à recrutement d’une structure nationale ou internationale avec une expertise et une expérience dans l’organisation des challenges d’innovation (hackathon, start-up week-end, start-up challenges…). A cette annonce, de nombreuses organisations, entreprises locales, et entrepreneurs locaux se sont mobilisés pour répondre à l’appel sans grand succès. « Le PNUD examinera la meilleure offre sur la base de la proposition technique et financière et le promoteur sera contacté », précisait l’appel à candidatures du PNUD Cameroon.

Au final, c’est l’incubateur Bond’innov implanté en France qui a été retenu  pour l’organisation de cet Hackathon. Une pilule très mal digérée par les entrepreneurs locaux qui se sont confiés à Digital Business Africa sous anonymat. «Pour multiplier nos chances d’organiser cet événement qui nous concerne, nous nous sommes unis pour proposer la meilleure offre technique et financière. Nous sommes outrées que ce soit cette entreprise étrangère qui ait été sollicitée pour l’organisation de cet événement qui concerne le potentiel camerounais, alors que nous sommes ceux qui maitrisons le mieux notre environnement », fulminent les recalés.

« Des miettes pour certains locaux lésés »

Pour réussir l’organisation dudit événement et mobiliser les startuppers locaux et les porteurs de projet, l’incubateur Bond’innov a à son tour  sollicité l’expertise des  entrepreneurs locaux, dont certains avaient postulé à l’offre du PNUD.

Questions de nombreux observateurs camerounais : « Pourquoi donc engager une entreprise étrangère pour l’organisation d’un Hackathon au Cameroun et en retour, cette entreprise revient vers la communauté camerounaise solliciter son expertise pour le suivi des candidats ? » ; « Même en période Covid-19 où l’on peut faire rapidement appel aux solutions locales, pourquoi certaines organisations internationales comme le PNUD Cameroon vont-elles toujours solliciter les entreprises et organisations étrangères alors qu’il existe bel et bien une compétence locale ? »

Le geste de l’incubateur Bond’innov basé en France qui entre en contact avec les acteurs clés du secteur de l’innovation au Cameroun témoigne à suffisance de sa reconnaissance de l’expertise des organisations et des entreprises camerounaises, analysent bon nombre de candidats frustrés par le choix de Bond’innov. « Pourquoi le Pnud Cameroun ne fait-il pas de même ? », s’interrogent-ils.

« Ce sont les mêmes organisations dont les dossiers ont été rejetés qui ont été sollicitées pour l’accompagnement dans cet événement. Plusieurs ne sont pas contents du tout. Certains ont accepté de se joindre au mouvement, mais d’autres n’ont pas été ravis de recevoir que des miettes dans l’organisation de cet événement », confie l’une des sources de Digital Business Africa, dont l’expertise a également été sollicité pour l’organisation de ce Hackathon 100% en ligne du PNUD.

D’ailleurs, Bond’innov a également écrit à certains groupes de camerounais pour solliciter leur participation au Hackaton en ligne. Ce que pouvaient bien faire les organisations spécialisées locales. Voici par exemple un message de Bond’innov envoyé aux membres de la communauté Afric’innov du Cameroun : « Chers membres de la communauté Afric’innov du Cameroun, j’espère d’abord que vous vous portez bien.  Nous vous sollicitons aujourd’hui concernant une opportunité qui se déploie au Cameroun: l’organisation d’un challenge 100% digital du PNUD pour faire émerger des projets opérationnels apportant une réponse à la lutte contre la Covid19 au Cameroun…»

Les bruits d’un silence coupable au PNUD Cameroun !

Pour comprendre pourquoi le PNUD Cameroun a choisi Bond’Innov pour l’organisation de ce concours en ligne plutôt que les organisations locales ayant postulé à cet appel à candidatures (national et international), Digital Business Africa a contacté la représentation locale de cet organisme des Nations Unies. Malheureusement, le PNUD Cameroun a choisi de ne donner aucune explication malgré des semaines d’attente et de relances vaines.

D’abord, Jean Luc Stalon, le Représentant résident du PNUD au Cameroun (photo), a été contacté par mail le 19 juin 2020 afin d’avoir des précisions. Celui-ci a transféré les questions envoyées à ses collaborateurs (Salome Martin Darras et Lereh Joseph Fajong) mis en copie afin qu’ils répondent. Ceux-ci malheureusement n’ont pas jugé utile de répondre.

Ensuite, tous, y compris Jean Luc Stalon, ont été relancés plusieurs fois en vain durant des semaines. Jusqu’au 24 août 2020, toujours aucune réponse venant du PNUD Cameroun. Un silence qui en dit certainement long sur les pratiques de cet organisme international au Cameroun et dont les organisations lésées accusent de favoritisme.

« C’est ainsi que bon nombre d’organismes internationaux procèdent généralement. Le Pnud Cameroun fait pareil. Ils mettent tout en œuvre pour que l’argent d’une quelconque aide ou don accordé en Afrique soit principalement reversé et gagné par des organisations ou entreprises étrangères. Ceci au détriment des entreprises, organisations camerounaises et africaines, qui, au finish, sont reléguées au second plan. Les rares organisations qui persistent et qui sont contactées pour des sous-traitances s’en tirent avec juste quelles miettes, tandis que les organisations internationales choisies s’en tirent avec le gros lot. D’ailleurs, il faut dire que très souvent, certains  organismes internationaux s’organisent pour que les conditions des Termes de références de ces appels à candidatures et appels d’offres soient davantage favorables aux entreprises ou organisations occidentales », explique, courroucé, un entrepreneur local spécialisé dans l’accompagnement des start-up ayant déjà expérimenté plusieurs échecs. Pour lui, en période Covid-19 où les activités sont au ralenti, le choix pouvait se faire localement afin de soutenir d’une certaine manière les organisations locales.

Le Hackathon 100% en ligne organisé par le PNUD Cameroun et son partenaire français Bond’Innov s’est appuyé sur les structures d’accompagnent  locales  des start-up tels que l’incubateur Activpaces dont le rôle était centré sur le coaching des équipes et l’accompagnement des gagnants du concours.

Au terme du concours, le principal vainqueur a été Oxynnet, une solution technologique développée par l’entreprise Himore Medical Equipments d’Arthur Zang permettant aux hôpitaux de s’approvisionner en Oxygène nécessaire pour plusieurs malades et principalement pour ceux atteints de la Covid-19 et en phase critique.

Oxynnet
Oxynnet de Himore Medical Equipments d’Arthur Zang, vainqueur du Hackaton lancé par le PNUD Cameroun.

L’expertise locale reléguée au second plan

L’exemple du PNUD Cameroun n’est pas un cas isolé, car de nombreuses organisations, PME et entreprises camerounaises se plaignent très souvent de ce qu’elles ne sont pas sélectionnées lors des appels d’offres internationaux alors qu’elles sont pourtant bien qualifiées pour le travail sollicité. La preuve, certains challengers des sociétés ou organisations retenues sont parfois contactés pour la sous-traitance pour le même service, avec bien entendu moins de gains.

Certaines entreprises et organisations pensent que lorsqu’il s’agit des grands enjeux et des sommes colossales, l’expertise locale est très souvent reléguée au second plan. Y compris dans l’événementiel.

Les grandes organisations préférèrent confier les commandes aux entreprises étrangères pour plusieurs raisons : Si de nombreux jeunes, organisations et entreprises locales pensent qu’il s’agit d’un favoritisme et d’une volonté pour ces organisations présentes au Cameroun de servir les intérêts de leur communauté, de leurs entreprises et organisations afin que l’argent des aides et dons accordés en Afrique retourne en occident, d’autres pensent que ces organismes internationaux peuvent invoquer d’autres arguments : « Il y a par exemple une présomption de mauvaise qualité des prestations rendues par les entreprises locales, une crainte de voir apparaître des difficultés dans l’exécution convenable des travaux par les entreprises locales, une crainte de la disponibilité des ressources humaines qualifiées et surtout une présomption des problèmes de financement », décrypte Olivier Djaba, consultant formateur, également consultant en investissement et développeur d’affaires.

L’action de l’Etat requis

Pour remédier à cette situation, l’Etat camerounais avait pris certaines dispositions. Dispositions qui s’avèrent insuffisantes.  Ces dispositions sont notamment, la mise en place de la Bourse de sous-traitance et de partenariat du Cameroun (BSTP) pour accompagner les sous-traitants à obtenir les commandes publiques auprès des grands donneurs d’ordre ; le renforcement de la formation professionnelle pour disposer des ressources humaines capables d’accompagner les sous-traitants ; la recommandation d’un quota minimum de 30% réservé aux sous-traitants dans les grands marchés.

Très souvent, la loi du marché et celle de l’offre et de la demande font que les sous-traitants doivent faire face à une concurrence sévère. Et, les rapports entre les parties prenantes à un contrat de sous-traitance ne sont pas toujours équilibrés. Ce constat déploré par le patronat camerounais (Gicam) a fait l’objet d’un forum en 2018, au cours duquel les experts relevaient par ailleurs que : « 35% des relations entre donneurs d’ordre et preneurs d’ordre reposent sur le corps de métier alors que 60% de donneurs d’ordre recourent à l’externalisation parce qu’ils veulent réduire les coûts ».

Pour renforcer la contribution des sous-traitants, d’autres mesures d’après Olivier Djaba seront nécessaires, telles : l’adoption d’une loi sur la sous-traitance et la fixation par voie règlementaire des délais de règlements. D’autres experts exigent d’imposer une obligation pour les donneurs d’ordre d’exiger que dans les appels d’offres internationaux une entreprise internationale ne puisse gagner un marché s’il n’est partenaire ou en consortium avec une entreprise locale. Ce qui pourrait revaloriser « les miettes » reçues par les locaux dans le cadre de la sous-traitance des marchés gagnés par des entreprises ou organisations internationales.

Par Ghislaine DEUDJUI

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