Eric Chinje : « Voici l’exemple kenyan que le Cameroun peut copier en matière des TIC »

(TIC Mag) – Président de l’African Media Initiative, ancien porte-parole de la Banque mondiale sur les affaires africaines, ancien directeur des Affaires extérieures et de la Communication de la Banque africaine de développement, ancien présentateur vedette [1984- 1991] de la Cameroon Radio and Television (CRTV), Eric Chinje présente à TIC Mag quelques défis du Cameroun en matière de TIC et Télécommunications.

TIC Mag : L’Afrique est entrée dans l’ère de la Télévision numérique terrestre. Votre vue transversale du continent vous permet-elle d’être optimiste par rapport à cette transition ?

Eric Chinje : Je suis basé au Kenya qui abrite le siège de l’AMI (African Media initiative). Je vois ce qui se passe au Kenya, en Ouganda, bref en Afrique de l’Est. Etant donné que le Kenya et le Rwanda sont bien partis en matière de technologie numérique, il y a un effet d’entraînement en Ouganda, en Tanzanie et même au Burundi. Donc, subitement c’est toute l’Afrique de l’Est qui bouge. On voit comment ça évolue dans ces pays. C’est un ensemble de choses, notamment les politiques adoptées par les gouvernements, l’engagement du secteur privé, l’activisme de la société civile, etc. Aujourd’hui, ces pays exploitent à fond les technologies existantes, ça commence à avoir un impact sur le développement économique, sur le niveau de l’éducation, sur la capacité des médias à répondre aux attentes des consommateurs. Mais, ici au Cameroun ça bloque. Je viens d’assister à Yaoundé à une conférence sur les TIC. En dehors du ministre Louis Paul Motazé, les autres représentants du gouvernement ont donné l’impression qu’ils étaient là pour défendre le statut quo. Pourtant, le Cameroun est parmi les derniers en Afrique en matière de développement des TIC. J’ai entendu dire qu’il y a des lois qui favorisent l’investissement dans ce secteur et son développement, pourtant si le pays n’a toujours lancé la technologie 4G. Alors que le reste du continent est en train de faire une adoption complète du numérique. Le Cameroun est en retard, même par rapport à ses voisins, notamment le Tchad, le Gabon, qui ont une économie beaucoup moins développée.

TIC Mag : Face au retard accusé dans le domaine des TIC, que doit faire le Cameroun ?

Eric Chinje : Il faut vraiment libéraliser le secteur. Je parle de véritable libéralisation, non pas juste des textes. Il faut ouvrir la voie à tous les opérateurs qui peuvent apporter quelque chose pour nous permettre d’avancer. Le problème du Cameroun c’est que le pays est dirigé par le secteur public qui, malheureusement, ne crée pas de richesse. A peine crée-t-il des connaissances. Il faut libérer ce pays du secteur public. Il faut laisser le marché déterminer.

TIC Mag : Après la libéralisation, est-ce qu’il y aura un marché local suffisant pour consommer tous les services des TIC ?

Eric Chinje : Il n’y a aucune donnée qui permet de dire que les gens ne vont pas consommer les produits de la technologie. S’il y a un système de distribution, vous verrez que les Camerounais sont de grands consommateurs des technologies. Quand MTN arrivait au Nigéria, j’étais à la Banque mondiale. Tout le monde disait que MTN ne peut pas atteindre 400 000 personnes au Nigéria en cinq ans. En six mois, la société a atteint des millions d’abonnés.

TIC Mag : Vous êtes au Kenya qui est l’un des pays africains les plus avancés en matière de TIC. Quelles sont les expériences kenyanes qui peuvent inspirer le Cameroun ?

Eric Chinje : Le Kenya a décidé que chaque enfant à l’école primaire possèdera une tablette. Ça change tout, car les enfants ont une facilité d’adoption de ces nouvelles technologies. Du coup, les enfants kenyans commencent à réfléchir autrement aujourd’hui. Il y a des applications développées par des jeunes kenyans un peu partout dans le pays. Le Kenya s’est également doté d’un Internet à haut débit. Le pays est en train de faire tout ce qui est nécessaire pour approfondir l’adoption du numérique et des nouvelles technologies. Ça demande des moyens. Or, le Kenya n’a pas plus de moyens que le Cameroun. Ce pays n’a que le tourisme, et encore. Nous avons un meilleur potentiel touristique. Le Cameroun a le pétrole, l’or, le bois et d’autres richesses naturelles, alors que le Kenya vient à peine de découvrir cette ressource pétrolière et n’en a même pas encore commencé l’exploitation. Le Cameroun est de loin plus riche, c’est la 12ème économie africaine, mais le problème est dans la gestion de la ressource. Le changement ne viendra ni avec des gens qui ne veulent pas libérer leurs esprits, ni avec des médias qui ne savent pas attirer l’attention du public sur ces choses-là.

TIC Mag : Toujours dans l’expérience du Kenya, il y a la Konza Technology City qui est en cours de mise en œuvre. En Afrique centrale, il y a eu quelques initiatives qui n’ont pas toujours prospéré. Le Cameroun est-il le pays de la sous-région qui doit avoir en premier ce genre de parc technologique ?

Eric Chinje : Le Cameroun est le leader naturel de l’Afrique Centrale. C’est ici que toutes ces initiatives doivent être essayées. Il revient au Cameroun de donner le ton d’une nouvelle conception de la vie. On ne devrait pas attendre que les autres le fassent. Mais chez nous, il n’y a pas de volonté, car tout le monde attend que ce soit le président ou quelqu’un d’autre qui donne l’ordre. Une fois encore ce n’est pas le secteur public qui développe la richesse et développe un pays. Le secteur public doit juste faciliter la mise en place des structures et des politiques nécessaires pour faire avancer la société. Mais, si on attend que ce secteur public et les institutions publiques décident et font bouger la société, on va traîner sur place, et c’est ce qui se passe au Cameroun.

TIC Mag : Toujours dans le secteur des technologies, on constate que l’Afrique de l’Ouest rassemble les grands acteurs de l’économie numérique. Il y a Google, Microsoft et les autres. Mais, ils sont absents en Afrique centrale….

Eric Chinje : Nous pouvons les avoir du jour au lendemain, mais il y a des conditions. Je suis obligé de le dire. Ça dépend encore du président de la République ; parce que personne en dehors de lui n’est capable de prendre cette décision. C’est triste. Bon, si le président donne l’ordre demain que d’ici la fin de l’année, j’aimerais avoir Google, Facebook et les autres, cela va se faire. Mais, il faut que les gens suivent les instructions du président, à condition que les règles changent, à condition que Camtel libère l’espace, car MTN, Orange et les autres ont les moyens d’investir ici et de radicalement changer l’état des choses. Je n’invente rien. Il suffit de se renseigner. Tout peut changer d’ici la fin de l’année si nous voulons. Mais, dans un pays dirigé par le secteur public, chacun cherchera ce qu’il gagne. Voilà le problème, car il va falloir attendre que chacun, dans la chaîne, puisse trouver ce qu’il ou elle va gagner. Eh bien, ça n’arrivera jamais. Il faut libérer l’espace, changer la manière de penser.

Propos recueillis par Beaugas-Orain Djoyum et Assongmo Necdem

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