[Digital Business Africa] – Lors du 22e séminaire du réseau FRATEL à Abidjan (20-22 mai 2025), M. Haliki Choua Mahamat, directeur général de l’ARCEP Tchad, a présenté une analyse approfondie de la connectivité du pays. Son exposé a mis en lumière l’état actuel des infrastructures, les défis persistants et les stratégies envisagées pour améliorer l’accès à Internet, notamment par l’intégration de solutions satellitaires comme Starlink.
La délégation de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP Tchad) conduite par son directeur général, était constituée de Khalid Bachar Ali Souleymane, directeur du Contrôle et de l’ Inspection, Mahamat Saleh Yacoub Ourada, chef de service Interconnexion et Itinérance, ainsi que Houzibe Tcholna, chef de service du Contrôle et de la Gestion.
Digital Business Africa vous présente l’économie de l’ exposé de Haliki Choua Mahamat.
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État des lieux de la connectivité au Tchad
Le Tchad, pays enclavé d’Afrique centrale, présente une situation de connectivité encore limitée malgré des avancées infrastructurelles notables.
À ce jour, 3 015 kilomètres de fibre optique ont été déployés à travers le pays. Parmi les tronçons majeurs réalisés figurent les liaisons N’Djamena–Mbéré (870 km), N’Djamena–Adré (1 142 km), et le réseau métropolitain de la capitale N’Djamena (1 003 km). D’autres villes bénéficient également d’un maillage de 267 km.
À cela s’ajoutent 3 009 kilomètres en cours de réalisation, couvrant les axes stratégiques Massaguet–Doboua (509 km), Doba–Abeché–Iriba (1 200 km), Kalait–Faya–Fada (525 km) et Abeché–Amjarass–Iriba (775 km).
Un projet à plus long terme prévoit 7 980 kilomètres de fibre supplémentaires pour connecter des corridors essentiels comme N’Djamena–Guelendeng–Bousso–Sahr, Amdjarass–Mourdi–Koufra et Ngoura–Ati–Oum-Hadjer.
Sur le plan international, le Tchad dispose déjà de passerelles avec le Cameroun et le Soudan. Des interconnexions avec le Niger sont en cours, tandis que des projets vers la Libye et le Nigeria sont envisagés.
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Une connectivité encore fragile et dépendante
Malgré les efforts déployés ces dernières années, le Tchad reste confronté à de nombreux défis structurels en matière de connectivité. D’abord, le pays dépend fortement de ses voisins pour son accès à l’Internet mondial, ce qui a pour conséquence une qualité de service souvent dégradée, un coût élevé de la bande passante, et une vulnérabilité accrue en cas d’incident. En effet, une simple coupure physique sur une liaison peut entraîner une interruption totale du service Internet pendant plusieurs jours, affectant l’économie, les services publics et la vie quotidienne.
Le maillage intérieur du territoire reste également insuffisant. Avec une superficie de plus de 1,2 million de km², le Tchad est l’un des plus vastes pays d’Afrique, mais seules quelques grandes villes sont aujourd’hui raccordées à la fibre optique. Cette situation limite l’accès équitable à l’Internet haut débit pour la majorité de la population.
Les contraintes techniques et logistiques pèsent aussi lourdement sur le déploiement du réseau. Le manque de main-d’œuvre qualifiée, les difficultés d’accès à certaines zones enclavées, et l’instabilité énergétique compliquent la construction et l’exploitation d’infrastructures numériques fiables et continues.
Enfin, la faiblesse des routes de connectivité internationales aggrave la situation. Le pays ne dispose que de très peu d’options pour accéder aux câbles sous-marins via ses voisins, ce qui limite la capacité de redondance et expose le réseau national à des interruptions brutales.
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Une stratégie d’amélioration tournée vers la résilience et l’ouverture
Face à ces défis, l’ARCEP propose une vision claire et pragmatique pour renforcer durablement la connectivité nationale. La première priorité consiste à diversifier les routes d’accès à l’Internet international. Le Tchad cherche à établir de nouvelles interconnexions avec plusieurs pays côtiers disposant de points d’atterrage de câbles sous-marins, tels que le Cameroun, le Soudan, le Niger, mais aussi à moyen terme, la Libye et le Nigeria. L’objectif est d’accéder à des systèmes comme SAT3, WACS ou Main One, afin de réduire la dépendance à une seule route de transit et garantir la redondance du réseau.
Parallèlement, le pays mise sur le déploiement de points d’échange Internet (IXP) dans plusieurs villes stratégiques comme N’Djamena, Abéché, Mao,

Moundou ou Sahr. Ces infrastructures permettront de garder le trafic local à l’intérieur du pays, réduisant ainsi la latence, les coûts d’interconnexion internationale, tout en favorisant l’émergence de contenus et de services locaux.
Sur le plan réglementaire, l’ARCEP recommande la mise en œuvre d’un cadre politique incitatif, qui facilite l’accès aux infrastructures et encourage la concurrence sur le marché de la fibre optique. Des partenariats public-privé doivent être promus pour soutenir le financement et l’exploitation des réseaux. En parallèle, des mesures doivent garantir l’accès ouvert et non discriminatoire aux infrastructures existantes.
La stratégie tchadienne prévoit également l’intégration de technologies complémentaires dans les zones difficiles d’accès. Le recours à des solutions comme le Wi-Fi longue distance, les réseaux radio point à point, ou les satellites à bas coût permettra d’étendre la couverture dans les zones rurales. L’utilisation des « espaces blancs » du spectre TV est aussi envisagée pour proposer une connectivité plus abordable dans les régions éloignées.
Enfin, la réussite de cette transformation numérique passe par une coopération régionale renforcée. Le Tchad plaide pour des projets transfrontaliers structurants, un dialogue soutenu entre États, opérateurs et bailleurs de fonds, et une coordination réglementaire accrue à l’échelle régionale. C’est par cette approche collective que l’Afrique pourra bâtir une interconnexion souveraine, inclusive et résiliente.
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Starlink : une avancée stratégique pour la connectivité
En novembre 2024, le Tchad a officiellement autorisé Starlink, le service Internet par satellite de SpaceX, à opérer sur son territoire. Cette décision vise à améliorer l’accès à Internet, notamment dans les zones rurales et enclavées où les infrastructures terrestres sont limitées. Le ministre de la Communication, Boukar Michel, a souligné que « Starlink aidera à combler le fossé numérique » dans le pays (source : Reuters, 12 novembre 2024).
Les premiers tests ont montré des vitesses de téléchargement allant jusqu’à 150 Mbps, ce qui représente une amélioration significative par rapport aux vitesses actuelles, souvent inférieures à 1 Mbps dans les zones rurales.
Avec l’arrivée de Starlink, il est estimé que le taux d’accès à Internet au Tchad pourrait passer de 11 % à 40 % d’ici 2026, touchant ainsi des millions de personnes qui n’avaient pas accès à des services Internet fiables (source : Capmad.com).
Le coût d’un abonnement mensuel à Starlink est estimé à environ 50 USD (29 000 francs Cfa) , avec un coût initial du matériel d’environ 250 USD (150 000 francs Cfa). Bien que ces tarifs puissent représenter un obstacle pour certaines familles, ils restent compétitifs par rapport aux autres fournisseurs de services Internet dans le pays.
L’amélioration de l’accès à Internet pourrait également avoir un impact économique significatif. Selon une étude de la Banque mondiale, une augmentation de la connectivité pourrait accroître le PIB du Tchad de 2 à 3 % par an, en stimulant l’innovation et en facilitant l’accès aux marchés internationaux.
Une souveraineté numérique en construction
Le Tchad illustre les contraintes systémiques des pays enclavés africains : dépendance à des infrastructures extérieures, faible redondance, maillage national limité. Pourtant, par une approche proactive et coopérative, le pays jette les bases d’une connectivité inclusive et résiliente.
À travers une diversification des routes, un développement des infrastructures nationales, l’intégration de solutions satellitaires comme Starlink, et une régulation modernisée, le Tchad s’engage à rompre son isolement numérique. L’ARCEP, à travers cette feuille de route, appelle à un sursaut collectif régional pour bâtir l’Afrique de la connectivité souveraine.
Par Digital Business Africa
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