[DIGITAL Business Africa] – Des documents hautement confidentiels sur les réseaux sociaux avant leur publication officielle. Le Cameroun frôle-t-il l’indécence ? Force est de constater que ce qui est proscrit par la loi semble avoir trouvé un écho favorable auprès de certains décideurs. La liste provisoire des candidats à l’élection présidentielle d’octobre 2025 a fuité sur les réseaux sociaux quelques heures avant sa publication officielle par ELECAM ce 26 juillet 2025. Le décret N° 94/199 DU 07 OCTOBRE 1994 portant statut général de la Fonction publique de l’Etat, en son article 41 est pourtant clair.
Art (1) « Tout fonctionnaire doit faire preuve de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits, informations ou documents dont il a eu connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. En dehors des cas expressément prévus par les textes en vigueur, le fonctionnaire ne peut être délié de cette obligation que par une décision expresse de l’autorité dont il relève ».
L’alinéa 2 de cette loi précise : « Tout détournement, toute soustraction de pièces ou de documents de service sont formellement interdits. Il en est de même de leur communication ou de leur reproduction, à moins qu’elles ne soient exécutées pour raison de service et dans les formes prescrites par les textes en vigueur ».
En plus de cette loi, il y a la circulaire N° 003 / CAB / PM DU 28 mars 2018 relative à la gestion des documents et données confidentiels de l’État et des organismes du secteur public qui avait été signée par le Premier ministre (PM), Philémon Yang.
« Il m’a été donné de constater qu’au mépris des lois et règlements en vigueur, les documents et informations confidentiels des institutions de l’Etat et des organismes du secteur public, sont régulièrement divulgués auprès d’un public non autorisé. Ce phénomène prend de l’ampleur à la faveur de la vulgarisation d’internet et l’apparition des nouveaux outils de communication électronique qui accentuent la propagation des informations ».
Le Premier ministre Philémon Yang prévenait déjà qu’on n’était pas loin de l’indécence :
« Au-delà du fait que ces pratiques répréhensibles sont de nature à compromettre l’efficacité de l’action publique, elles constituent également des atteintes graves à la sûreté de l’État, de plus en plus en proie à des menaces sécuritaires, multiformes ».
La sonnette d’alarme était donc tirée. Mais le son était moins perceptible par le DG des Médias du groupe l’Anecdote Bruno Bidjang, qui au mépris de la loi, va publier la liste contenant les noms des personnalités en lice pour la Magistrature suprême avant ELECAM, l’organe en charge des électionsau Cameroun. Il n’y a d’ailleurs trouvé aucun inconvénient.


Le journaliste a bien pris la précaution de mentionner “probable” et d’employer le conditioennel. L’ordre des candidats sur les listes n’est pas le même tout comme la disposition des noms. C’est vrai, mais aucun nom n’a sauté ou n’a été ajouté. Le journaliste Bruno Bidjang s’en félicite.
« Au moins 97 % des informations publiées sur cette plateforme sont vraies, vérifiables et recoupées. Chez nous, pas de populisme, pas de fanfaronnade, encore moins de manipulation ou de sensationnalisme pour attirer l’attention. Nous faisons du journalisme d’investigation sérieux, basé sur la rigueur, la confrontation des sources et la vérification systématique des faits ».
Un journaliste qui coupe l’herbe sous le pied du DG d’ ELECAM, Erik Essousse et s’en félicite. Cela méritait bien une sortie de l’institution pour condamner cette entorse de la loi. Le président du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM), Anicet Ekane, se creuse les méninges.
« Quand un journaliste publie en avance la liste exacte des candidats validés, cela pose de sérieuses questions sur la fuite et les connivences »
En réaction à cette fuite, Ghislain Mekoueng Eva dit au journaliste Bruno Bidjang: « Dans un pays normal, tu devrais déjà être aux arrêts pour des informations confidentielles que seul le conseil électoral était en possession ».
Joel Bedeup soulève la problématique de la fraude électorale au Cameroun : « Ça nous rappelle nos élèves en classe d’examen qui passent l’année scolaire à faire l’école buissonnière, puis, à moins de 24 h de l’examen, ils reçoivent ” l’eau “, et passent avec mention. Tu es le seul journaliste d’investigation au Cameroun, tu nous sors ta liste avant même qu’elle ne soit publiée par l’organe en charge ».
Malgré l’existence du décret N° 94/199 DU 07 OCTOBRE 1994 portant statut général de la fonction publique de l’État et de la circulaire du Premier ministre, les documents hautement confidentiels continuent d’écumer les réseaux sociaux avant leur publication officielle. Renforçant ainsi la toute puissance des lanceurs d’alerte au grand dam des entreprises de presse pourtant dépositaires du pouvoir d’informer.
Par Jean Materne Zambo