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Cameroun, CEMAC : jusqu’à quand « dealer » nos problèmes numériques avec des solutions étrangères ?

Le numérique est devenu un levier stratégique pour le développement du Cameroun et des pays de la zone CEMAC. Digitalisation des services publics, paiements mobiles, plateformes de services, e-administration, e-santé : les ambitions sont claires et légitimes. Pourtant, une réalité persiste, souvent passée sous silence :

La majorité des besoins et problèmes numériques locaux continuent d’être traités par des solutions négociées, conçues, hébergées et pilotées hors de la région. Ce choix, présenté comme pragmatique ou inévitable, est en réalité lourd de conséquences. Car derrière chaque logiciel importé, chaque plateforme clé en main et chaque « MoU » signé, ce sont en réalité des décisions structurantes qui échappent aux territoires, des données stratégiques qui quittent la région, des opportunités économiques locales qui s’évaporent et des compétences forcément mal ou sous utilisées, lorsqu’elles le sont réellement.

Au Cameroun, plusieurs projets de digitalisation de services publics ont montré leurs limites dès leur déploiement. Des plateformes administratives peinent à fonctionner dans des zones où la connexion est instable, où le coût de la data reste élevé et où l’accompagnement humain est indispensable. Le problème n’est pas l’absence de technologie, mais l’absence d’adaptation aux réalités locales. Une solution pensée pour Paris, New york ou Pekin ne peut être simplement transposée à Garoua, Bertoua ou Kousséri. Et lorqu’un local propose une innovation, elle est souvent bloquée par l’auto-censure du « made in Cameroon ».

Dans la CEMAC, le paradoxe est encore plus frappant dans le secteur des paiements et des services de proximité. Alors que le mobile money est massivement utilisé par les populations, de nombreuses plateformes de services continuent d’ignorer les usages réels des commerçants, des artisans et des collectivités locales. Résultat : des outils sophistiqués, coûteux, mais peu adoptés sur le terrain.

Cette dépendance numérique pose une question de fond : quelle souveraineté voulons-nous exercer à l’ère digitale ? Lorsque les données des citoyens, des entreprises et des territoires sont stockées et exploitées à l’extérieur, lorsque les évolutions technologiques dépendent de prestataires étrangers, la capacité de pilotage stratégique des États et des collectivités s’en trouve affaiblie.

Pourtant, les compétences existent. Le Cameroun et les pays de la CEMAC regorgent de développeurs, d’ingénieurs, de chefs de projet, d’entrepreneurs numériques. Ce qui manque, ce ne sont pas les talents, mais des cadres clairs, des projets structurants et une volonté politique forte de partir des besoins des territoires plutôt que des solutions toutes faites.

Il est temps de changer de logique. Le numérique ne doit plus être pensé uniquement comme un outil technique, mais comme un projet de territoire. Cela implique de concevoir des plateformes locales, modulaires et ouvertes, capables d’intégrer progressivement les services essentiels : accès aux services publics, commerce local, paiements, information citoyenne, emploi de proximité. Cela implique aussi de former des profils hybrides capables de faire le lien entre technologie, usages et réalités sociales.

Les solutions étrangères ont leur place, mais uniquement dans des partenariats équilibrés, c’est à dire rentables parce que valorisés localement. Elles doivent s’inscrire dans des projets pilotés localement, avec un véritable transfert de compétences, une gouvernance partagée et une création de valeur mesurable sur les territoires. Sans cela, elles ne font que renforcer une dépendance déjà bien installée.

La question n’est donc plus de savoir si le Cameroun et les pays de la CEMAC doivent se digitaliser. Ils le sont déjà. La vraie question est de savoir qui pilote, pour qui, au bénéfice de quels territoires et…pour quelle durée ?

Tant que cette question restera sans réponse claire, le numérique restera un outil importé, mal approprié et insuffisamment transformateur. Il est encore temps d’agir. Le numérique peut devenir un levier puissant de développement, d’inclusion et de souveraineté pragmatique pour l’Afrique centrale. Mais à une condition : partir des territoires, faire confiance aux compétences locales/Diasporas et assumer une vision stratégique claire. Le reste n’est qu’illusion technologique et « bla bla » électoraliste.

Par Pierre Ndjop POM, Conseil en stratégie et Transformation Numérique

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